Filles des oiseaux tome 1 par Florence Cestac

Quoi que j’aie pu en dire ailleurs, mon enfance a été un ténébreux miaou, traversé çà et là par de brillants ronron. C’est que j’ai été élevé par des chats de gouttière. La vie n’était pas tous les jours facile. Nous faisions un repas par jour, chichement constitué à partir des restes du restaurant végan Le regard du poireau. Quand les plus téméraires parvenaient à choper un pigeon entre deux portes, c’était rôti et jour de fête. J’ai dans ces circonstances développé un rapport actif agressif aux volatiles. Qu’un moineau entre dans mon champ de perception et je me mets en alerte, la canine aiguisée et rutilante. Processus si mécanique qu’il m’est malencontreusement arrivé de croquer des bistouquettes qu’on avait désigné par le terme “ti zozio”. Tout ce que je pourrais dire dans cette critique est donc à nuancer : moi, fils de chat, j’ai une défiance automatique envers les filles d’oiseaux.

Synopsis

“Mais pourquoi j’ai demandé à aller en pension ?” se demande Thérèse, 13 ans, fraîchement débarquée dans le dortoir glacé du pensionnat des Oiseaux – un pensionnat où les bondieuseries en tout genre rythment la journée. Dieu merci, Thérèse se fait tout de suite une copine : Marie-Colombe, vilain petit canard d’une famille haut de gamme qui gîte à Neuilly et se vouvoie en anglais. Thérèse, elle, a sa tribu à Beuzeville : des parents qui font dans la vache et le cochon, un père qui cogne quand il a picolé, le baloche à la salle des fêtes.

Critique

fdo04Cela faisait approximativement 7 ans que je n’avais pas ouvert un Cestac. Etant encore chaton, faute de meilleure pitance, je dévorais chaque semaine, ni plus ni moins scrupuleusement que les autres bandes-dessinées du magazine, Les Déblok dans Le Journal de Mickey. A la bibliothèque municipale, qu’un chat perçant m’avait indiqué, j’errais souvent dans les rayons BD adulte, à la recherche soyons honnête des plus beaux dessins de fesse. Sans cela, les thématiques matures et dessins réalistes ou impressionnistes ne m’évoquaient rien. Là je m’arrêtais souvent sur les albums pour grands de Cestac, quoi que le taux de gens nus y soit tout à fait raisonnable : son trait restait celui rond et aimable des Déblok et donnait l’impression de BD pour petits qu’on avait mal rangé. Cela dura jusqu’en 2009, année où j’échangeai définitivement le feulement contre le langage articulé et chaussai mon premier slip. En plus des Débloks, donc, j’avais lu l’essentiel de l’oeuvre de Florence Cestac chez Dargaud, du Démon de midi jusqu’à Je voudrais me suicider mais j’ai pas le temps. De toutes ces lectures il ne me reste pas grand-chose. En me plongeant dans Filles des oiseaux, je crois comprendre pourquoi.

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Si mes souvenirs sont justes le constat peut s’appliquer à l’oeuvre entière : la présente bande-dessinée est en même temps pas assez et trop légère. 1) Pas assez légère – léger étant ici contraire de lourd. Cestac a manifestement l’intention de faire un petit objet pop, elle veut qu’on se sente bien, qu’un fin sourire d’aise éventuellement pincé d’une once de mélancolie soit lu sur nos lèvres. A cela je ne vois rien à redire, l’intention en elle-même n’est pas condamnable. Le souci est au contraire qu’elle n’est pas poussée jusqu’au bout. Cestac par exemple prétend nous offrir un recueil de fragments – “Filles des oiseaux est une construction arachnéenne de souvenirs entremêlés […].” Cette proposition n’est que partiellement honorée. A quelques endroits, dans le premier temps de l’oeuvre, les souvenirs s’enchaînent elliptiquement sans qu’une cohérence se dessine. Mais très vite le récit traditionnel reprend ses droits, thématiquement (on rejoue rat des villes rat des champs sans variation) et structurellement (amitié / rupture / amitié de plus belle). Il aurait fallu, pour respecter la promesse de départ, refuser les trois actes, tenir la forme anecdotique jusqu’à la dernière page. Le pire étant que par ce parti-pris Cestac finit par bouler son matériau documentaire. Toujours dans le premier temps, on découvre les règles arbitraires du pensionnat. Les malentendus entre la citadine et la campagnarde sont précis : “Y font quoi tes vieux ? – De la vache surtout. Du lait et un peu de cochon. – Paysans quoi.” La précision dans cet exemple relève du fait de langue, par lequel on voit s’ouvrir deux mondes distincts. Ces annotations disparaissent au fur et à mesure que le livre avance. Les indications documentaires se font plus rapides et grossières : “En pleine adolescence, nous prenions conscience que le monde des grands n’était pas forcément rigolo, rigolo… Par chance, quatre garçons dans le vent allaient balayer tout ça. [Love love me do !] Et il y en eut bien d’autres… [I can’t get no satisfaction !] – Thérèse, regarde ce que je me suis acheté à Londres !!! [Pull shetland ras du nombril. Jean pattes d’eph. Clarks à lacet.] – Enfin des nippes que pour nous !!!” On est passé de la captation simple au commentaire sociologique. Dommage :  le réel est plus inspiré que Cestac sociologue. “Enfin des nippes que pour nous !!!” s’exclame Thérèse face aux nouvelles possibilités vestimentaires. On entend moins ici une ado des sixties que Cestac qui après coup, après lecture de deux ou trois bouquins sur l’invention de la jeunesse, est capable de prendre du recul sur le phénomène.

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2) Trop légère – léger étant ici synonyme de sommaire. Cestac aurait pu sauver la part narrative et explicative par la densité du propos. Mais pour cela aussi elle s’en tient à la légèreté. Les antagonismes sont simplistes (pourquoi faut-il que Marie-Colombe, par exemple, soit largement plus renseignée que Thérèse quant au domaine sexuel ? on apprend un tas de trucs en s’occupant des vaches !), les analyses politiques superficielles (“Quel pays gris c’était peu avant que déboule le printemps de mai 1968” préface Jean Teulé en total accord avec la conclusion). Loin de moi l’idée de nier la prégnance des classes sociales et l’importance de 68 – au contraire, c’est parce que Cestac aplatit tout ça par des formules et schémas fossilisés que je suis ennuyé. Ce n’est pas déplaisant de lire ce Les années 60 pour les nuls mais on n’en sort pas augmenté. Filles des oiseaux c’est bel et bien un documentaire, mais pas un brut genre Wiseman ou Depardon, plutôt un 50 minutes d’Arte où tout le monde face cam est super fan du sujet en question. La première case page 55 synthétise les joies et limites de l’univers de Florence Cestac. La case est large comme deux cases, en haut une cartouche indique “Pleurs, consternation et règlements de compte”. A gauche, Thérèse et Marie-Colombe prostrées sur le canapé ; à droite les parents de Marie-Colombe debout, la mère séchant une larme, le père implacable. Marie-Colombe crie : “Vous avez tué mon premier amour avec vos décisions à la con !  Je vous déteste ! Bouh !!!” Le père répond : “C’était pour ton bien !” Cette scène n’a aucune valeur si on la juge selon des critères réalistes. Les postures sont stéréotypées, les dialogues sont faux. Mais si on considère c’est un condensé de situation, la case est réussie. Tout est immédiatement lisible et net. Efficace comme une bande-dessinée. Florence Cestac ne peut pas rivaliser avec les nouveaux de la bédé docu mais dans sa team elle pèse.

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