La Fièvre dans le sang par Alfredo Rossi

fievre dans le sang

Je me souviens ma prof de français en collège, elle avait dit que, dans une démonstration, il faut d’abord dire ses arguments moyens – puis les faibles puis les forts (elle s’inspirait d’une stratégie militaire de Jules César je crois ou Sacha dans Pokémon). Ainsi donc : premièrement : j’ai bien aimé le livre La Fièvre dans le sang de Elia Kazan par Alfredo Rossi dans la collection Les meilleurs films de notre vie : parce qu’il sent bon.

Synopsis

“Bien que rien ne puisse ramener l’heure de la splendeur dans l’herbe, de la gloire dans la fleur, n’ayons point d’affliction, cherchons plutôt la force dans ce qui subsistera après”. À partir des célèbres vers de William Wordsworth, Elia Kazan (Un tramway nommé Désir, Viva Zapata !, Sur les quais, À l’Est d’Eden) a réalisé ce que beaucoup considèrent comme son meilleur film, au même titre qu’America, America, et l’un des plus beaux films d’amours hollywoodiens. Alfredo Rossi, critique de cinéma italien, décrit l’œuvre et la commente.

Critique

Le livre sent bon. D’une odeur que je dirais papier bristol neuf. N’allez pas ouvrir le bouquin au hasard et pousser votre nez dans l’entre-deux pages – souvent c’est la colle qui sent bon j’admets, c’est là qu’il faut se mettre j’avoue – mais La Fièvre dans le sang ne libère son bouquet qu’à partir du moment où on fait claquer ses pages rapidement au niveau des narines (vous voyez ? comme fait le magicien avec son 52 pour nous divertir de ce que sa main gauche est en train de placer un lapin derrière notre oreille). À cette occasion on découvre un second plaisir : le livre – du moins ses tranches – est doux – non, lisse – agréable au toucher. Que ça parle d’un grand cinéaste ou de Christopher Nolan, pour l’instant c’est égal : le corps trouve son compte. Pour combien de temps ? On sait que les odeurs se dispersent, que les textures s’altèrent dans le contact des gras doigts. Le lecteur de 2028 pourra-t-il  accéder à cette dimension du texte ? Nous postulons au moins que l’intégrité physique du livre sera préservée plus loin que la moyenne, pour la simple raison que personne ne va le lire. Fin des arguments moyens, passons aux faibles :

La Fièvre dans le sang par Alfredo Rossi est le sixième opus de la nouvelle collec Les meilleurs films de notre vie, qui rappelle jusque dans son apparence d’autres fameuses collecs pour s’informer synthétique – la saga généraliste des Que sais-je ou, dans le domaine en question, les Avant-scène Cinéma et les Petits Cahiers – il y en a plein d’autres j’imagine mais je suis intello que depuis 10/2014. Quel parti distingue Les meilleurs films de notre vie des propositions précédentes ? Son titre. Qui est aussi son programme. On va parler des films, un à la fois, systématiquement. Là où les Petits Cahiers ne se consacrent à un film précis qu’une fois sur quatre – les trois autres sorties traitant de genres, de filmographies entières ou de thématiques globales impossibles genre Le plan ou Faire un film (ils ont pas encore osé carrément faire Le cinéma). On peut espérer que Les meilleurs films, en resserrant la matière qu’elle embrasse, étreindra mieux ses sujets que les autres collecs en vigueur. D’autant mieux que, contrairement aux Avant-scène Cinéma, qui traitent aussi les films un par un mais n’accordent qu’une petite rubrique à la critique, Les meilleurs donnent la parole aux spécialistes.

J’attends donc, en ouvrant le bouquin, d’être particulièrement bien embrassé. Ou quelque chose comme ça. Sur le plan technique, je ne suis pas déçu. Je sors du livre en sachant plus de choses au sujet d’Elia Kazan et son film La Fièvre dans le sang qu’en y entrant. Voire même : trop de choses. Je n’ai pas seulement appris les contexte, contenu et répercussions du film. On m’a fait en plus circuler, beaucoup aux extrémités un peu au milieu, dans toutes les vie et filmographie du cinéaste. On pourrait considérer ça comme une marque de générosité et de rigueur ; pour moi c’est le premier signe d’éparpillement, le tout premier manquement au contrat. Et si on essayait, pour une fois, de voir ce que ça fait de réellement parler d’un film donné et rien que de ça ? Que faudrait-il sacrifier de la recette habituelle du critique pour ce faire ? Qu’est-ce que ça lui coûterait ?

Bref, le livre remplit à peu près sa fonction informative et on l’en remercie. Qu’en est-il de sa fonction érotique ? Rossi parvient-il à déclencher le désir ? Au sortir de la lecture, courons-nous revoir La Fièvre dans le sang ou boire une bière fraîche ? Je serai le cobaye de cette expérience. Je m’appellerai 127 LAPIN TEST. Précisons que, quoi que je n’aie jamais vu le film en question, je suis un bon sujet. Tendances cinéphiles prononcées, du goût pour le Hollywood classique, de l’admiration pour Elia Kazan et Natalie Wood – je n’attends que ça, qu’on me mène au film. Mais voilà mon triste périple, au pays des arguments forts :

Introduction, pp. 19-27. Début de méfiance. Le style de Rossi est classique et je connais les excès du critique classique, qui tend à privilégier à tout autre forme le discours amoureux. La Fièvre est décrété meilleur film de Kazan, ses autres bébés répudiés d’un revers – page 26, Viva Zapata ! est “insupportable” point barre. C’est un cœur qui parle.

Prologue, pp. 29-66. Au style la-plus-belle-c’est-ma-copine, s’ajoute un système critique vieillot – tout va bien. J’ai appris dans ce genre de situations à chercher entre les lignes de convention pour fabriquer mes désirs tout seul. Quand Rossi détaille en long et travers la vie de Kazan, comme clé essentielle de compréhension du film, je tâche de ne pas trop me souvenir que cette technique de dévoilement de l’œuvre par la biographie a été annihilée au XXe siècle par des gens pas moins nuls que Roland Proust et Marcel Barthes – je chine. Mais plus j’avance et moins il reste de matière non contaminée. Rossi se révèle être un fervent défenseur de la psycho/psycha-critique. Pas juste un mec qui n’ayant pas grand-chose à dire s’en remet à d’antiques astuces. Il écrit sérieusement “Ce n’est pas un hasard si c’est la Femme qui est encline à la pietas, en honorant le corps martyrisé du perdant. Le monde du Père, l’œdipe, est à l’inverse, dans l’histoire psychique de l’individu, le développement de la douleur, la part irrésolue, le nœud traumatisant” (p. 54) et titre un sous-chapitre “Pères et mères : les assassins” (p. 57).

Récit du film, pp. 69-99. Rossi me perd définitivement en échouant à l’exercice de la description pure. C’est que le détail du film est d’avance engagé dans une psychanalyse. À propos d’un moment où Natalie Wood rit de façon inhabituelle, étonnante, Rossi écrit qu’elle “rit de façon hystérique” (p. 79).  Je déplore à nouveau le manque d’imagination des freudiens, qui ne semblent avoir pour seul horizon érotique que le génital : “Sur un fond d’eau qui tombe, métaphore du flux spermatique” (p. 69), “Sur une table trône la maquette d’une tour de forage : c’est le symbole phallique paternel” (p. 73). La part de la psychanalyse dans l’imaginaire de Kazan est indéniable. Ne serait-ce que parce que ses personnages sont souvent amenés à se faire psychanalyser et que cela fait question. Mais Kazan est plus fort que zizi-kékette, et cela transparaît en dépit des efforts de Rossi. Dans l’accumulation des photogrammes montrant Natalie Wood dans tous ses états, en parallèle du texte, on a une piste d’analyse intéressante – Kazan comme précurseur de Kechiche, fasciné par la malléabilité de la matière féminine – Rossi ne voit là qu’une série d’attitudes symptomatiques d’une castration traumatique je sais pas quoi. Dans le rapprochement fait par Rossi entre Hitchcock et Kazan, photogrammes comparatifs à l’appui, on pourrait s’amuser à envisager Kazan comme un cinéaste d’épouvante – Rossi ne s’amuse pas et je sais pourquoi. Il doit aussi considérer l’œuvre de Hitchcock en termes psychanalytiques, et non en termes cinématographiques. Du coup, rien à dire. Il note la proximité évidente entre deux grands maîtres de la psychanalyse filmée. Tout est plat qui finit bien.

 

Épilogue, pp. 101-117. 127 LAPIN TEST n’écoute plus.

Annexes, pp. 119-125. J’atteins la même sérénité que Natalie Wood sur la photo ci-à-côté en lisant page 119 cette citation de Kazan himself : “L’œuvre d’art ne doit pas enseigner, elle ne doit pas démontrer. Elle doit être comme une montagne, comme un arbre, comme un nuage, comme tous les phénomènes naturels qui donnent des impressions différentes à tous ceux qui les regardent.”

 

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