Cet article me hante depuis des mois. Accompagnée de la meilleure des compagnies, je suis allée chez Ludovic Turac en mars. 5 mois plus tard, sans cesser d’y penser, j’étais incapable d’écrire un seul mot. Le vrai symptôme de la page blanche….
Et puis, la France a gagné la coupe du monde de football. Et ce jour là, j’ai compris pourquoi je n’arrivais pas à vous raconter mon expérience chez Ludovic Turac, et j’ai aussi décidé d’essayer quand même.
Amuse-bouche
Quand j’étais petite, mes grands-parents avaient une place très importante dans ma vie. Ils habitaient juste à côté de chez nous et j’y ai passé des heures et des jours entiers. L’histoire classique, vous connaissez ? “C’est ma grand-mère qui m’a fait aimer la cuisine”.
En vrai, ça serait un peu limitant de le dire comme ça, mais disons que ma grand-mère m’a fait découvrir tout un tas d’émotions culinaires (pendant que mon grand-père me formait à la critique sportive télévisuelle).
Ils avaient aussi un chalet dans les Alpes où nous allions en été. Un chalet qui sentait bon le bois, qui craquait de temps en temps, avec un terrain casse gueule en pente rempli de fraises sauvages, de lavande et de pissenlits, et une boîte (que dis-je? un SEAU!) remplie de Legos pour quand il pleuvait. Bref, le paradis de l’enfance.
Mon grand père nous a quittés il y a 3 ans, et son départ m’a énormément bouleversée. Le chalet des Alpes, bien que toujours “actif”, est condamné à une mort certaine dans les années à venir.
Alors, nous avons décidé d’y aller, ce week-end du 14 juillet où la France a gagné la coupe du monde. Le dimanche, avant de rentrer chez nous, nous avons regardé le match avec ma grand-mère, mon mari, ma fille, et une vieille télé. On recevait le signal par une antenne qu’il fallait bouger sur la fenêtre en fonction de la position des nuages.
Nous avons crié à chaque but. Nous avons dansé à la victoire. Nous étions heureux. On venait de vivre un moment historique.
Et une fois l’euphorie des 30 premières minutes passée, je suis allée m’accouder à la balustrade, et j’ai été envahie de nostalgie et de tristesse. Je savais que j’étais au chalet probablement pour la dernière fois. La France avait beau être en pleine célébration universelle extrême, RIEN ne pourrait dépasser cette nostalgie douce, cette envie de m’imprégner peut-être pour la dernière fois de tous les sons, toutes les odeurs, de cette vue sur les 3 Autanes. Et tant pis si le reste de la France fêtait la victoire. Et je me suis souvenue d’une Table au sud.
Entrée
Quelques mois plus tôt, on s’était rendus sur le très beau Vieux Port de Marseille pour manger dans notre premier restaurant étoilé d’adultes (entendre = payés par nous mêmes). “Une Table au Sud”, de Ludovic Turac, candidat de la saison 2 de Top Chef. C’est un chef qui n’a pas forcément marqué l’émission, éliminé entre Ronan Kernen et Alexis Braconnier, en milieu de saison. Mais depuis, son restaurant a obtenu une étoile au Michelin, ce qui n’est pas rien. Il fallait qu’on teste!
L’entrée est un peu confidentielle, esquichée entre un magasin de souvenirs et une gigantesque brasserie avec devanture sur le vieux port. Pour aller chez Ludovic Turac, il faut monter à l’étage dans une belle cage d’escalier en marbre. Et on atterrit dans une salle lumineuse avec fenêtres donnant sur le Vieux Port et la Bonne Mère. Un jour ensoleillé, c’est une vue de rêve sur Marseille.
Une porte coulissante silencieuse donne sur les cuisines, à l’arrière de la salle. Elle est transparente, on peut parfois y voir le chef officier, sans m’as-tu-vu, en toute discrétion. Il y a juste une bonne odeur qui en sort et se diffuse.
La salle se remplira peu à peu d’une belle diversité : un couple de chaque dizaine d’age (trentaine, quarantaine, cinquantaine et soixantaine), des copines, deux tables de business men and women avec des présentations Power Point (no comment), des ingénieurs de la construction en T-shirt, des touristes asiatiques….Tout le monde gardant une retenue permettant à chacun de profiter. Plutôt agréable !
Un autre souvenir que j’ai gardé : la forme originale des assiettes utilisées pour décorer les tables. Elles étaient un peu comme des mini-collines colorées.
Nous n’avons pas choisi le midi pour rien : c’est notre premier étoilé, et il propose comme beaucoup une formule allégée en prix le midi, à 36 euros par personne (Entrée/Plat/Dessert). Sachant que ces formules sont souvent plus créatives que les menus déjà fixés, c’est tout bénef pour nous!
Plat(s)
L’amuse bouche arrive déjà. Il y a un beignet d’oreillette à la rillette de sardine. Je croque dans le beignet. C’est délicieux. Et paf ! Je suis téléportée dans l’enfance, en train de manger les oreillettes de ma grand-mère, un goût que j’avais bonnement et simplement oublié. C’est le choc.
5 mois plus tard, je suis sur la balustrade du chalet, dans le silence des Alpes qui contraste avec les klaxons qu’on entend à la radio. Et je comprends pourquoi je n’arrivais pas à écrire l’article sur Ludovic Turac, et pourquoi c’était normal. Ce qui s’est passé ce jour là, c’est que l’oreillette de l’amuse bouche m’a fait vivre un sentiment tellement fort que c’est le seul souvenir que j’ai gardé, qui dépassait tous les autres. Un peu comme l’effet “Coupe du monde au Chalet”. La Coupe du monde, les gars, c’est génial. Mais le chalet…ça dépasse tout le reste.
Logiquement, j’ai passé 6 mois à ne pas me sentir légitime à vous parler d’un restaurant étoilé en vous disant que ce que j’en ai pensé, c’est que l’amuse-bouche était comme chez ma grand-mère.
Heureusement, ce jour là, j’avais pris des notes qui m’ont permis de me replonger dans ce repas pour en partager quelques éléments aujourd’hui, malheureusement pas aussi bien ce que je voudrais.
A côté de l’oreillette se trouve un combo riz/poisson revisité, avec une rillette de poisson fraiche au citron accompagnée d’une chips de riz. Les saveurs sont tranchées, explosent en bouche, et le goût du poisson ressort bien. Comme ils diraient chez Top Chef : “Le produit est respecté”.
Ensuite arrive un maquereau coloré accompagné d’un velouté de légumes.
Au début, je goûte juste le velouté, je suis un peu déçue, je le trouve fade. Mais avec le maquereau, c’est autre chose. Il l’enrobe tout en douceur, ils se combinent et se mettent en valeur l’un l’autre. Un vrai mariage!
L’assiette est remplie de goûts, au point que je me surprends à réfléchir pour analyser ce que je mange; sensation assez inédite chez moi. Il faut dire qu’il y a une vraie complexité de saveurs.
C’est l’heure du plat de résistance : encore un poisson, et ça me convient très bien. Il est accompagné d’une panisse violette, d’asperges et de sucrine encore croquantes, et d’une mousse de céleri (dommage, je ne suis pas fan).
Sur ce plat, moins de fraicheur et moins de couleur. Il y a un vrai besoin de tout goûter pour tout apprécier. Les éléments seuls ne me transcendent pas, mais dans le temps, j’arrive à apprécier les combinaisons. Intéressant ! Il y a de la variété dans les saveurs, et encore beaucoup de complexité. Je suis contente aussi de manger une bonne panisse (si rare à trouver).
Douceurs
Pour finir, on nous sert une déclinaison autour de la pomme, que je trouve un peu trop sucrée. Le dessert ne me laisse vraiment pas beaucoup de souvenirs, malgré une jolie présentation à souligner.
Le repas est terminé, mais l’ambiance est agréable, reposante et confortable. On décide de prolonger avec une infusion et un café, très bien servis avec les mignardises qui vont bien (encore un peu trop sucrées à mon goût), et plein de sucres différents. Sur la note finale, je regretterai un peu ce choix, vu l’impact !
Bilan
C’est l’heure de partir, et nous avons sur le chemin du retour une conversation sur la perception que nous avons eue du repas. Pour ma part, je ne suis pas habituée à réfléchir pour profiter de ce que je mange, j’ai tendance à apprécier les choses de manière plus brute. Mon accompagnateur du jour n’a pas forcément ressenti cette gène et a plutôt apprécié le goût travaillé des plats, le cadre assez exceptionnel, et la qualité du service (attentionné sans être guindé, un peu comme l’ambiance).
De mon côté, j’ai eu l’impression que le repas est allé décroissant dans la qualité : passant d’émotion intense à contenu anecdotique. J’ai conscience cependant, avec le recul, que mon analyse n’est pas vraiment objective. Alors pardon, Mr Turac, de ne pas pouvoir faire honneur à votre restaurant, mais votre oreillette a effacé tout le reste.
Et en même temps, dire à un chef qu’il nous a fait vivre une émotion intense liée à l’enfance, n’est-ce pas le plus beau des compliments ?
PS : la photo de la note ci-dessous, pour une idée des prix !