Journaliste, auteur, réalisateur, animateur passionné de sciences, Nicolas Martin est devenu l’un des grands noms du festival des Utopiales. Président du Prix Utopiales en littérature, il participe également à la programmation au sein du festival. Nous avons eu l’immense honneur de pouvoir échanger avec lui, une discussion riche en émotions, rires et science-fiction !
La Rédaction : Lorsque vous étiez adolescent, quel a été votre premier grand choc en science-fiction, que se soit en littérature ou au cinéma ?
Nicolas Martin : Je crois que le vrai premier coup de cœur fou, mais je crois presque cliniquement inquiétant, c’est Goldorak. Goldorak, Ulysse 31 et Cobra. Ces dessins animés qui bercent toute mon enfance, quand je commence à dessiner je dessine des Golgoths et des monstres, et surtout ce que j’aime dans ces dessins animés c’est que je suis toujours du côté des méchants. J’adore quand Goldorak se fait latter la gueule, quand il est en difficulté. J’adore voir le golgoth de la semaine, j’adore les méchants quoi ! J’ai même un t-shirt avec les méchants de goldorak que je mets pour les Utopiales ! Donc là je crois qu’il y a un truc très fort qui se joue dans mon imaginaire de gamin.
A l’adolescence, je crois que c’est Alien. Quoique non, il y a une chose avant Alien, c’est Star Trek. Moi je suis un «Trekie» je suis pas un Star Wars du tout. Ça ne me déplaît pas mais la mythologie ne m’intéresse pas vraiment. Je suis un «Trekie» de ouf parce que ça passe sur la 5 et avec ma meilleure amie Hélène on en fait même un fanzine, que j’ai toujours à la maison d’ailleurs. C’est pour ça que pour «La Méthode Scientifique» qui était mon émission sur France Culture je mets le générique qui est issu de Léonard Nimoy, c’était vraiment ce qu’on écoutait ainsi qu’un hommage à mon amie malheureusement aujourd’hui disparue. Donc indéniablement Star Trek la série originale.
Et donc un peu plus tard c’est Alien, parce que c’est un chef d’œuvre total, et quand on est du côté des méchants et des monstres on en a pour son argent ! Et puis le monstre n’est pas le vrai méchant, le vrai méchant c’est le capitalisme donc bon. Et puis on a aussi Sigourney Weaver, bref le véritable choc Alien au cinéma.
En littérature, c’est Lovecraft. J’ai la chance d’avoir un père qui adore la SF, donc il a toute l’anthologie de la SF que je picore un peu. Et à un moment donné je suis au collège, j’ai 13 ans je crois et on me fait lire Le Horla de Maupassant qui me fout la trouille. Et je me souviens très bien du moment où je l’ai dit à mon père, il m’a dit «hold my beer, si t’aime avoir peur avec la littérature je vais te filer un truc» et il me file Lovecraft. Et là c’est wouah, c’est incroyable. En même temps y’a Bilbo le Hobbit, j’adore Le Seigneur des Anneaux, mais tout de suite ça devient Lovecraft. C’est marrant parce que ça se retrouve dans mon parcours de rolliste, parce que je commence avec Terre de Légendes qui était les livres dont vous êtes le héros, puis très vite je passe à JRTM (Jeu de Rôle des Terres du Milieu) parce que Tolkien, et ensuite je passe à l’Appel de Cthulhu. Et puis après je passe à Vampires, je passe à Cult, c’est une longue descente vers les enfers ! (rires)
LR : Quelle est votre dernière recommandation en termes de SF ?
NM : Alors il y a le Prix Utopiales dont je suis le président qui est est vraiment un super bouquin, «La Dernière Tentation de Judas» de Philippe Battaglia. C’est vraiment un roman pop incroyable, fou totalement inédit et singulier, drôle, irrévérencieux, et en même temps tout à fait amoureux de sa matière qui est la religion et les Evangiles. Mais c’est pas vraiment de la SF. Je pourrai citer «Aatea» d’Anouck Faure, mais c’est plutôt de la Fantasy/SF. Il était finaliste pour le Prix Utopiales et on a eu beaucoup de mal à les départager car le jury avait aimé les deux œuvres de la même façon.
En pure SF, quelque chose que je pourrai conseiller parce que ça n’a pas beaucoup été vu et lu, ça date de quelques années mais j’avais vraiment adoré, c’est «Terminus» de Tom Sweterlitsch. C’est de la vraie SF avec un vrai concept de SF hyper fort, qui est celui que les êtres humains ont trouvé des portes qui permettent de voyager dans le temps et l’espace profond. On y suit une section d’enquête et une enquêtrice qui utilisent ces portes pour résoudre des cas qu’ils n’arrivent pas à élucider en allant dans le futur trouver la solution. Et ces portails dans le temps sont des portails quantiques qui font que quand on va dans le futur, on arrive dans l’une des infinies possibilités de futurs possibles. Donc ce n’est pas forcément leur futur, mais quand ils le visitent ils vieillissent très vite car ils restent de longues périodes, parfois plusieurs années. Et le kink ultime c’est que quand ils vont partir de ces futurs, ces futurs ne redeviendront que des possibilités et donc disparaissent. Du coup les gens du futur capturent ces voyageurs temporels car ils ne veulent pas que leur réalité disparaisse. Et le cas à résoudre c’est un truc hyper glauque à la Elroy avec un marine qui revient et qui a dessiné un tableau avec des ongles après avoir massacré sa famille ! C’est dark, c’est noir, c’est gore, c’est SF c’est pur concept et j’avais trouvé ça vraiment remarquable.
Sinon j’ai lu il n’y a pas longtemps «Les Perséides» de Robert Charles Wilson. Et Wilson c’est toujours merveilleux, c’est aujourd’hui l’un de mes auteurs contemporains favoris.
LR : Vous êtes un artiste très polyvalent qui touche à beaucoup de choses, vous êtes entre autres journaliste, réalisateur, scénariste, animateur radio,… Comment expliquez vous cette polyvalence ?
NM : Je ne l’explique pas ! (rires) Je pense que j’ai un petit souci d’hyperactivité en règle générale, et puis j’ai envie de faire tellement de choses que j’essaye de toutes les faire. Et j’ai vraiment une chance inouïe car j’arrive à faire tout ce dont j’ai toujours rêvé. Ado je rêvais de faire de la radio, j’ai passé 20 ans à Radio France dont 6 ans avec ma propre émission, j’ai fait des documentaires en Antarctique, j’ai eu des années merveilleuses à Radio France. J’ai eu ce rêve là et je suis allé au bout.
Et puis à un moment donné j’ai eu envie d’écrire, de raconter des histoires, j’avais même jamais imaginé que je pourrai un jour publier un roman. Et puis de fil en aiguille c’est venu, j’ai pu publier mon roman qui fonctionne bien, les gens sont contents. J’essaye de faire un long métrage et c’est en train d’arriver : on a un casting, on part en financement. Après avoir fait des court-métrages mon rêve c’est de faire un film et j’espère y arriver ! Bref, on a qu’une vie et elle est courte, j’ai perdu trop tôt des gens très chers et je crois que c’était important pour moi de me dire que j’ai qu’un espace pour tout faire donc je fais tout.
LR : Quand on lit votre roman «Fragile/s», on se dit que ça pourrait très bien être un film ou même une série. Est-ce que ce projet de long-métrage est lié à «Fragile/s» ou pas du tout ?
NM : Alors le long-métrage est un film à part. Mais c’est drôle parce que j’ai toujours écrit, ado j’écrivais des nouvelles, j’ai même un proto roman dans un coin écrit sur plusieurs années mais qui est parfaitement illisible. Et puis à un moment donné, la scénariste Pauline Rocafull qui travaille pour Arte en lisant mes nouvelles m’a dit «mais pourquoi tu ne fais pas du cinéma ? Tes textes on dirait carrément un découpage technique tellement on voit les images tellement c’est graphique» et je me suis dit why not ? Et pendant quelques années je me suis arrêté d’écrire de la littérature pour écrire des scénarios de court-métrages.
Et puis avec mon ami Simon Riaux on s’est trouvés et on a commencé à écrire ensemble un premier long-métrage, puis un deuxième, puis une première série,… Donc j’ai écris du cinéma pendant des années. Et quand je me suis remis à écrire des nouvelles et notamment mon roman, il y a évidemment un aspect cinématographique parce que je visualise les plans. Mes processus d’écriture, et dans le prochain se sera sûrement encore plus poussé, c’est de décrire mes images mentales : je pense en plan, je pense en scène, je pense en lumière, en éclairage,… J’ai un imaginaire très visuel.
Pour le moment c’est encore très préliminaire, mais «Fragile/s» s’engage pas mal du tout pour une adaptation en série. Maintenant l’une des grandes questions c’est le nombre de saisons. Les partenaires avec qui on commence à être engagé ne sont pas tellement intéressés par la mini-série et voudraient une série longue, moi je pense qu’il ne faut pas trop étirer le concept sur 3 saisons ce serait trop long. Mais en même temps l’histoire se passe sur 15 ans, donc on est en train d’y réfléchir. Encore une fois rien n’est fait, mais on est en discussion.
Donc oui «Fragile/s» plutôt en série, mais le prochain roman que je suis en train d’écrire est plus cinématographique et s’adapterait mieux je pense sur 1h30/2h, d’autant qu’il se passe presque en temps réel. J’ai un truc avec temps réel, essayer de saisir une sorte d’instant et de rythme. Un truc dont je me rends compte très nettement c’est que pour «Fragile/s» j’ai travaillé sur un document de synthèse dans lequel j’ai des fiches de personnages, de mythologie, au fur et à mesure j’ai commencé à faire un plan,… Alors que mes nouvelles je les écris au fil de ma plume, c’était la première fois que je faisais tout ça. En roman c’est impossible de ne pas avoir de plan par exemple, ne serait-ce que pour structurer, être sûr de ne rien oublier, construire l’intrigue et le rythme. Et je vois très nettement que ça vient de l’organisation de la série et l’écriture de scénario.
Et c’est marrant car j’ai toujours été ce qu’on appelle «plot driven» c’est-à-dire que quand j’imagine une histoire j’ai d’abord une idée de concept, de ligne narrative sur laquelle je colle des personnages. Or au cinéma et surtout en série, il faut absolument être «character driven», ce sont les personnages qui font tout, c’est autour d’eux que se construit l’intrigue. Donc c’est 2 mouvements très contraires. Et moi j’étais très «plot driven» et c’était l’un de mes défauts qui remonte presque au jeu de rôle où les joueurs que je masterisait me reprochaient d’être trop directif. Parce que je savais exactement ce que je voulais et où j’allais et finalement les personnages n’avaient que peu d’influence. Et j’ai appris à partir des personnages, et la preuve c’est que mon deuxième roman est un roman familial donc j’ai d’abord construit ma famille et autour d’eux je me suis demandé «pourquoi est-ce que ça se produit ?». J’ai complètement renversé la balance. C’est une nouvelle façon d’appréhender les histoires et c’est presque plus intéressant.
Par exemple pour «Fragile/s», la façon dont je me suis identifié à Typhaine, je n’avais jamais vécu une expérience comme cela. La dernière page du dernier chapitre quand on quitte le personnage de Typhaine, quand je l’ai terminé je suis sorti et j’ai pleuré pendant une heure et demie ! J’étais tellement malheureux de la perdre, de la quitter et de lui infliger ce que je lui ai infligé quand même la pauvre, j’aurai voulu lui faire un câlin ! J’étais vraiment très ému de quitter mon personnage.
LR : Qu’est-ce qui vous a le plus appris sur le monde, la science ou la fiction ?
NM : (rires) Bonne question ça tiens ! En fait, les deux mon capitaine. C’est pour ça que ça a été aussi important, et je remercierai jamais assez Sandrine Treiner de m’avoir confier la Méthode Scientifique. Et de m’avoir un peu forcé la main parce qu’au début j’étais pas sûr de devoir y aller, j’avais plutôt envie d’une émission culturelle mais en fait c’était vraiment le meilleur choix ever. Et dans ma carrière j’ai commencé comme journaliste général, puis comme journaliste culturel, puis journaliste scientifique et à chaque fois c’était vraiment hyper intéressant de voir le monde d’une autre manière. De voir ce que l’info générale t’apprend sur l’état du monde, sur les relations sociales, politiques, économiques,… De voir comment la culture est un regard sur le monde et s’empare du monde pour en proposer des versions différentes, une analyse, un regard, une interprétation. Et puis la science d’un seul coup, cet espèce de regard objectivant sur qu’est-ce que c’est que la réalité, qui parle aussi du monde.
Et la fiction c’est la même chose. Ce que la science m’a appris du monde et ce que la fiction m’a appris du monde sont deux choses complémentaires qui ne valent pas mieux ou plus l’une que l’autre. Elles sont vraiment indispensables et m’ont toutes les deux formées chacune à leur manière. Par exemple, à travers la fiction je me suis formé à la philosophie, à la sociologie qui m’avaient été très mal enseignées au lycée, et j’y avais toujours été réfractaire. J’ai plutôt un esprit de physicien qu’un esprit de philosophe. Et les bons physiciens sont aussi de bons philosophes. Donc je me suis formé à la philosophie grâce à la SF, notamment avec Herbert, Asimov, Ursula Le Guin pour l’aspect sciences sociales. Ça a été une vraie interface entre moi et la philosophie.
LR : Pour vous, qu’est-ce qui rend unique le festival des Utopiales ?
NM : Tout. C’est un moment hyper important parce que c’est un moment moi qui me rassure sur la société, sur nous en tant que collectif en tant qu’être humain. Parce qu’il y a encore cette espèce d’image de merde qui traîne dans la conscience collective de dire que les amateurs de SF c’est des métalleux blancs avec les cheveux gras un peu mascu, homophobes et bêtes. Mais on voit que les communautés de l’imaginaire sont au contraire tout l’inverse de ça.
Quand on est aux Utopiales c’est aussi une façon de se compter, de se dire qu’on est là, qu’on est entre nous, que c’est un safespace. Qu’on est là pour échanger autour d’une passion, que la population est hyper diverse, bienveillante, inclusive. Et en fait c’est aussi ça nos sociétés et notre société, qu’on nous vend comme étant devenu un pays raciste renfermé sur lui-même qui déteste tout le monde et qui veut la guerre de tous contre tous. Et bien on voit qu’en fait c’est pas vrai. On est là, ça fait du bien et c’est important, on se rend compte que nos imaginaires et nos identités sont politiques et qu’on les vit tous ensemble.
Moi je ressort du festival épuisé mais tellement heureux parce que ça me redonne foi, ça me redonne confiance en le collectif, en nous et en le fait qu’on est pas juste 3 péquins et 2 pelés mais qu’il y a vraiment énormément de monde. L’année dernière les Utopiales c’était 156 000 billets uniques donc c’est vraiment beaucoup de monde. Et je crois qu’en ce moment on a vraiment besoin de se retrouver, de se dire qu’on est là, et que c’est comme ça qu’on commence et continue la résistance.
LR : On fête cette année les 25 ans des Utopiales, votre première année c’était quand ?
NM : Alors j’ai une mémoire calendaire catastrophique… Ma première fois c’était quand j’étais à Entrée Libre, rédacteur en chef de l’émission culturelle sur France 5. J’étais venu l’année où il y avait Wilson, Spinrad et Gaymann. Et je me suis retrouvé à manger à une table avec Robert Charles Wilson et sa femme, des canadiens pas mormons mais disons simples au sens positif, et de l’autre côté Norman Spinrad complètement bourré au vin rouge et complètement flamboyant qui nous racontait comment quand il avait 20 ans il embarquait des filles en décapotable en prenant du LSD sur les routes de Los Angeles ! Et moi j’étais là en train de boire du petit lait en mode «merci merci» (rires). Et puis après ça je suis revenu tous les ans, y’a peut être un an où je ne suis pas venu. Et puis ensuite avec France Culture, je suis l’artisan du partenariat entre les Utopiales et France Culture, et je suis heureux qu’il se poursuive aujourd’hui. C’est exactement l’endroit où France Culture doit être, et je suis très content que les deux se soient rencontrés et continuent à collaborer.
LR : Et si vous n’étiez pas débordé et que vous aviez une journée pour profiter du festival, vous feriez quoi ?
NM : La sieste ! (rires) En fait là en tant que comité littéraire je vais fureter à droite à gauche pour voir, pour écouter. C’est super de voir que toutes ces tables rondes qu’on a pensé, toutes ces histoires à raconter, ces sujets de discussions et de débats, de rencontres deviennent réalité. Y’a un truc de réalisateur un peu de dire j’imagine quelque chose et d’un seul coup ça prend forme, et c’est très agréable de voir les salles sont remplies, que les gens sont contents, qu’on discute avec entrain, joyeuseté et bienveillance. Qu’on fait vivre les idées, vivre la pensée et qu’on cherche des solutions, qu’on critique l’état du monde tout en essayant d’y apporter notre propre regard individuel et collectif. Bref c’est super de voir qu’on est tous là dans cette effervescence intellectuelle.
LR : Est-ce que vous auriez un conseil pour quelqu’un qui voudrait raconter une histoire de SF ?
NM : Alors c’est une question difficile mais c’est quelque chose que j’aime beaucoup faire accompagner les gens dans l’imaginaire, le script-doctoring pour des court-métrages et des ateliers d’écriture. La je suis en train de déménager, partir enfin de Paris pour à terme ouvrir une résidence d’écriture. Parce que j’aime aider les gens à trouver leur singularité.
Il n’y a pas de méthode d’écriture universelle, sinon tout le monde écrirait la même chose et ce serait facile. Moi le premier conseil que je donne c’est d’abord d’écrire court. Il ne faut pas se lancer seul dans un roman comme ça sans avoir déjà fait quelques nouvelles qu’on a cherché à faire publier dans des fanzines, sur internet, il y a pleins de moyen de se faire lire facilement aujourd’hui. Et pourquoi pas si on a envie contacter des éditeurs après des revues comme Bifrost. Donc d’abord commencer par du court parce que ça permet d’avoir un texte, de travailler, de poser des idées et ça permet d’être lu. Être lu c’est avoir des retours, les copains en général disent que c’est bien mais si on les gratte on découvre ce qu’ils en ont vraiment pensé. Essayer d’écrire du court et tenter des choses un peu folles, c’est fait pour expérimenter, ne pas se censurer.
Mais voilà ne vraiment pas se lancer dans des romans tout seul ou après 2 nouvelles : un roman c’est long, écrire c’est difficile c’est beaucoup d’investissement, émotionnellement c’est très demandeur, c’est parfois beaucoup de souffrance, pas mal d’anxiété, et si on met toute cette énergie là pour arriver à un manuscrit qui va rester lettre morte, qui va être lu par 2 personnes et demies, des refus d’éditeurs, c’est très douloureux. Donc il ne faut pas faire ça.
Et l’autre conseil très simple c’est lire. Il faut lire lire lire. On écrit forcément parce qu’on est influencé, parce que parfois quand on a une bonne idée elle a déjà été écrite, ou alors on trouve une bonne idée dans un livre et on se dit «ah mais si je la mettais à ma sauce ça donnerait ça». Savoir ce qui se fait, savoir ce qu’on aime, c’est en lisant qu’on finit par définir petit à petit par ajouts successifs ce qui va finir par devenir sa pâte d’auteur.ice.s.
LR : On a été voir le film d’animation «The Girl who stole Time», si vous pouviez, à l’image de la protagoniste, arrêter le temps qu’est-ce que vous changeriez en France ou dans le monde là tout de suite ?
NM : Et bien j’irai faire la sieste ! (rires) J’irai tuer les dictateurs. J’irai tuer les fascistes. J’ai un tatouage sur le bras ici qui représente un crâne percé d’une dague. C’est le tatouage que j’ai fait avec mon chéri, qui a le même sur le bras, et il est repris d’une poétesse chilienne, Stella Diaz Varin, qui a vécu plusieurs dictatures et était résistante. Elle a écrit l’un des plus beaux poèmes en langue espagnole et qui veut dire «Je ne veux pas que mes morts reposent en paix» parce que leur devoir est d’être parmi nous et d’être présent dans notre esprit, dans notre conscience pour continuer à nourrir notre combat pour la liberté contre la dictature. Il y a un documentaire sur elle, «La Colorina», qui est magnifique. Il n’est pas traduit en français mais si vous êtes hispanophone il faut le voir. Et elle a un tatouage avec un crâne percé d’une dague et elle dit «à l’époque quand on se retrouvait avec les poètes et les activistes on s’est tous fait tatouer ça pour dire que pendant qu’Alliende est parti, nous on est restés pas pour démettre le dictateur, mais pour le tuer».
Les fascistes tuent des gens par dizaines de milliers. Trump et les autres comme lui sont des gens qui ont du sang sur les mains, Poutine n’en parlons pas. Moi je suis tout à fait contre la peine de mort mais à un moment donné il faut les mettre à bas et a minima les juger et les enfermer à vie. Donc ce que je ferai c’est que je les prendrai et je les mettrai tous dans leur putain d’Alcatraz.
LR : Et donc vos tatouages racontent tous une histoire ?
NM : Mes tatouages racontent leur propre histoire. Au début, je suis allé chercher des artistes dont j’aimais le boulot et je leur ai dit «voilà vous avez carte blanche». Je crois que le tatouage c’est une façon de me réapproprier mon corps. J’ai commencé à me faire tatouer assez tard vers 40 ans, mais je crois que ça a vraiment été quelque chose dans la reconquête de mon corps et de mon apparence avec laquelle j’avais une relation un peu conflictuelle. Et puis petit à petit j’ai fini par demander mes propres dessins. Celui là c’est peut être mon préféré, c’est une reproduction, un amalgame de l’île des morts du peintre Arnold Böcklin qui est un tableau qui me poursuit depuis toujours et que je suis fier de porter sur mon bras. En fait, j’avais un peu envie de servir de canevas.
Il y en a un que j’aime beaucoup ici sur les côtes qui est une broderie de Louise Bourgeois qui est une artiste qui faisait des araignées géantes en les appelant maman, déjà on adore. Et elle a fait des petites broderies et il y en a une que j’avais vu au musée museet à Stockholm dans une rétrospective Louise Bourgeois. C’était l’entrée dans l’exposition et je vois ces broderies sur mouchoir bleu et rouge et le texte bas en capitales d’imprimerie qui dit «I have been to hell and back, and let me tell you it was wonderfull» (je suis allé et revenu de l’enfer, et laisse moi te dire que c’était merveilleux). Je n’aurai jamais pu trouver mieux et plus élégamment et joliment dit pour décrire le regard que j’ai sur ma propre vie. J’en ai parlé publiquement mais j’ai été victime de viols toute mon enfance, j’ai vécu des années vraiment difficiles avec des vrais problèmes de santé mentale. J’ai été en enfer et j’en suis revenu, et c’était formidable parce que c’est aussi comme ça que ça m’a construit et que je suis devenu la personne que je suis aujourd’hui. Et quand bien même j’en ai chié vraiment lourdement, si on me donnait une baguette magique pour changer quelque chose à ma vie je ne toucherai à rien. Parce que même si y’a encore des choses qui ne vont pas très bien, et bah je suis drôlement fier d’avoir fait ce trajet là et d’avoir réussi à construire et de continuer à construire ma vie malgré tout.

