Interview de Thibaut Lasfargues, créateur de “Funenbulles”, la chaîne YouTube qui décortique la BD

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Jeune homme très polyvalent passé par les classes préparatoires littéraires à Avignon où je l’ai rencontré, Thibaut Lasfargues a ensuite fait la prestigieuse école de commerce EM Lyon avant de faire des stages en Inde, où il s’est penché sur le micro-crédit, également au Mexique, dans le Master Of Business Administration, puis de nouveau en France, à Angoulême et Paris. Passionné de bande-dessinées depuis de longues années, il a créé le 15 janvier 2016 une chaîne YouTube, appelée Funenbulles, qui les décortique dans un esprit à la fois joyeux et analytique. Le 30 mai de la même année a démarré PapierBulles, une sous-rubrique dévolue cette fois à une et une seule planche de BD. Alors que vient de sortir il y a quelques jours le huitième épisode de Funenbulles, consacré aux “Beaux étés” de Zidrou et Jordi Lafebre, je me suis entretenu quelque peu avec ce complice de longue date sur sa chaîne et, plus généralement, par extension, son rapport à la bande-dessinée…

OBLIKON : Comment ta chaîne Funenbulles est-elle née ?

THIBAUT LASFARGUES : Je travaillais pour le groupe Media Participations, qui possède entre autres des éditeurs comme Dupuis, Dargaud, Le Lombard, Kana. Donc j’étais vraiment immergé dans la bande-dessinée, ce qui m’a fortement incité à rencontrer des gens de ce milieu-là, à aller à des manifestations telles que des festivals, ou des vernissages, et c’est comme ça, également en regardant beaucoup ce qui se faisait sur YouTube que je me suis dit qu’il manquait peut-être une chaîne consacrée à la bande-dessinée sur YouTube. Je me suis demandé : “Pourquoi pas moi ?” En même temps, ça me permettait de renouer avec les études que j’ai faites tout de suite après le bac, à savoir des études littéraires où j’avais pas mal d’analyses de textes à faire, d’analyses artistiques, cela ça me plaisait beaucoup et c’est quelque chose que j’ai un peu perdu ensuite en travaillant en entreprise. Donc beaucoup de facteurs me plaisaient : l’analyse d’un contenu artistique, les nouvelles technologies, le rapport à la vidéo et la bande-dessinée.

OBLIKON : Comment choisis-tu les bandes-dessinées que tu chroniques ?

THIBAUT LASFARGUES : Au début c’était le coup de coeur. Dès qu’une bande-dessinée me plaisait, je la chroniquais, quelle que soit sa notoriété, l’auteur ou son actualité. Récemment, j’ai décidé de changer, car j’ai envie que les vidéos que je fais soient vues et soient partagées. Je me suis rendu compte que mon cercle privé n’était pas suffisant, que j’avais besoin soit des auteurs, soit des éditeurs, donc j’ai commencé à choisir les bandes-dessinées par rapport à ça tout en gardant le côté “coup de coeur”. Je chronique systématiquement des bandes-dessinées qui me plaisent. Je regarde si l’auteur a une existence sur les réseaux sociaux, s’il a une page Facebook et s’il la fait vivre. Par la suite, je vais faire en sorte de développer aussi la collaboration avec les éditeurs, car ils ont une force de frappe qui pourrait m’aider. Enfin je regarde également la presse, c’est-à-dire l’actualité du livre, si c’est une BD qui vient de sortir il n’y a pas longtemps ou si c’est une BD qui a été reconnue par un festival, qui a gagné des prix, etc. Ensuite, quand j’ai fait ma critique, elle ne reste pas visible par mes seuls contacts, mais je peux espérer qu’elle soit relayée par l’un des autres réseaux, soit de l’auteur, soit de l’éditeur, soit de la presse.

OBLIKON : Quelles sont tes bandes-dessinées préférées et tes auteurs de bandes-dessinées préférés ?

THIBAUT LASFARGUES : Récemment j’ai découvert Marini que je connaissais un peu de nom, comme pour sa BD “Le Scorpion“, et là j’ai lu “Les Aigles de Rome”, dont j’ai trouvé le scénario absolument génial et les dessins splendides. C’est un dessinateur excellent et c’est aussi un historien, il s’est vraiment beaucoup renseigné sur l’époque en question pour ce péplum dans lequel on suit le périple de deux personnages. Sinon un des maîtres absolus pour moi reste Franquin auquel Beaubourg consacre actuellement une exposition à ma plus grande joie, même si elle est relativement petite, mais il est bon qu’enfin honneur soit rendu à un si grand auteur dans un musée reconnu.

OBLIKON : J’imagine que comme tout le monde tu lisais enfant “Astérix”, “Tintin”, “Boule & Bill”… Désavoues-tu ces amours de jeunesse ? Les analyses-tu aujourd’hui, les regardes-tu avec un oeil différent ?

THIBAUT LASFARGUES : Non, pas du tout. Je ne suis pas archi-fan d'”Astérix”, mais j’aime bien quand même. Dans un autre registre, j’ai dévoré tous les “Dragon-Ball” quand j’étais petit et je trouve que ces BD qui sont si connues et si populaires, si elles marchent c’est qu’elles ont quelque chose de fort. Je sens instinctivement qu’il y aurait matière à analyser. Pour Franquin ou “Astérix” je ne sais pas trop, mais je sais que “Tintin” est apprécié par pas mal de philosophes. Je ne m’y suis pas attelé, mais je perçois moi aussi cette dimension philosophique. Pour “Dragon-Ball”, ce que j’adore c’est l’impression d’espace géniale qu’ils arrivent à créer. On voit des combats très impressionnants, ce n’est pas un espace circonscrit, les mecs s’envoient voler à des centaines de mètres, à droite, à gauche, ça se passe en trois dimensions, et pourtant on n’est jamais perdus, les combats restent très lisibles, et, déjà, cette lisibilité est extrêmement louable de mon point de vue.

OBLIKON : Fais-tu une différence entre bandes-dessinées et romans graphiques ?

THIBAUT LASFARGUES : Selon moi, la frontière est très poreuse, avec, notamment, tous les nouveaux formats qui se développent, toutes les BD qui sont quand même un peu intermédiaires. La notion de “roman graphique” laisse à penser qu’il s’agit d’un type de format, un album qui serait un peu plus gros, plus épais, et plus petit, comme un “roman de poche”, mais ça c’est précisément en train d’évoluer, des maisons d’éditions développent des collections avec des espèces de “romans graphiques” édités dans des formats de BD traditionnelles, comme “Grand Angle” chez Bambou et “Air Libre” chez Dupuis. Au niveau des thèmes, c’est aussi en train de changer. Les “romans graphiques” ont réputation d’être moins drôles et plus sérieux avec une portée sociale, mais on peut tout à fait avoir des BD qui parlent de thèmes sérieux avec une portée sociale, donc non, je ne fais pas de différence.

OBLIKON : Pour toi une BD peut-elle avoir la même valeur qu’un roman ?

THIBAUT LASFARGUES : Oui je pense que la BD peut tout à fait prétendre à cela et qu’il y a des BD’s qui sont totalement au niveau de grands romans de la littérature moderne ou passée, je n’ai aucun doute là-dessus. Je pense qu’en plus il s’agit d’un média qui est en pleine évolution actuellement avec le numérique, et à ma petite échelle j’ai envie de me battre pour que la BD soit reconnue au même titre que la littérature ou le cinéma.

OBLIKON : Peux-tu nous toucher un mot sur PapierBulles qui est un complément à Funenbulles ? Là aussi, est-ce que ça a un lien avec le fait que tu étais en prépa lettres ?

THIBAUT LASFARGUES : Oui, l’idée c’est d’analyser très précisément et avec pertinence une planche d’une BD. Il m’a semblé que ça n’a pas encore été beaucoup fait, pour ainsi dire même jamais. Il s’agit de voir comment l’esprit d’une BD peut se retrouver à l’échelle d’une seule planche.

OBLIKON : Pour toi, une BD est-elle comparable à un story-board avec les échelles de plans, etc ?

THIBAUT LASFARGUES : Oui, c’est comparable, mais dans une certaine mesure, parce que par exemple le story board est très contraint, limité à des cadres précis et à une lecture gauche à droite, dans la BD il y a plus de liberté, avec des histoires très déstructurées, et très déstabilisantes au niveau de la temporalité, etc.

OBLIKON : Peux-tu nous citer les prochaines BD qui feront l’objet de prochaines analyses de “Funenbulles” ?

THIBAUT LASFARGUES : Le prochain sera très probablement consacré aux “Aigles de Rome” de Marini. Je croise les doigts pour qu’il soit sélectionné à Angoulême, pour que ça coïncide. Sinon j’aimerais beaucoup parler de “Sunstone” du Croate Stjepan Sejic. C’est une BD très belle, très intéressante, très originale et qui traite d’un thème très particulier, à savoir la sexualité BDSM. La mise en page est géniale de plus. Enfin j’aimerais bien aussi évoquer “La forêt sombre et mystérieuse” de Winshluss…

OBLIKON : Quelle est la fréquence de parution de vidéos ?

THIBAUT LASFARGUES : Pour l’instant, c’est quand je peux, mais j’aimerais bien au moins faire paraître une vidéo par mois, oui !

OBLIKON : Le mot de la fin ?

THIBAUT LASFARGUES : Merci à toi et merci à Aniol de la chaîne “Tout ça pour ça” qui s’occupe des tournages et de toute la technique !

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