Une interprétation moderne, implacable et poétique du mythe de Faust. C’est ainsi que se présente cet ouvrage de l’américain Scott McCloud, déjà auteur de L’art invisible et ses suites.
Si comme moi vous ne connaissez l’histoire du Dr Faustus que dans les grandes lignes, il vous sera intéressant de faire quelques recherches sur le sujet. Tout au moins, cela vous permettra de constater que Le Sculpteur, loin d’en être une copie moderne, s’en détache sur bien des aspects.
Synopsis
« En mal d’inspiration, David Smith, jeune sculpteur torturé, se voit proposer un pacte qui lui permettra de réaliser son rêve d’enfance : Sculpter ce qu’il souhaite à mains nues.
Mais rien n’est éternel et tout a un prix. En échange de sa vie, il aura deux cents jours pour créer son Œuvre. Et il va le payer encore plus cher : Au lancement du compte à rebours, il rencontre le grand amour … De quoi ébranler toutes ses certitudes ».
Critique
Parlons tout d’abord du format : Avec ses 480 pages, ”Le Sculpteur” est un ouvrage pour le moins imposant. Lorsqu’on sait que certaines BD de 60 pages se vendent à peine moins cher, il est déjà plaisant d’avoir tant de matière à lire.
Mais surtout, ce format permet à l’auteur de raconter son histoire comme il le souhaite, sans être handicapé par un nombre de pages restreint. On sent qu’il se fait plaisir avec la mise en page, particulièrement réussie. La bande dessinée américaine a toujours été moins traditionnelle que l’européenne à ce niveau là, mais certains passages sont ici frappants d’inventivité. Les dessins sont simples et efficaces, mais légèrement inégaux sur certains points (le design de certains personnages notamment). Néanmoins, bien qu’entièrement en nuances de bleu, noir, et blanc, ils ne sont jamais monotones.
Mais qu’en est-il de l’histoire elle-même ? Une chose est sûre, il suffit de quelques minutes pour y entrer pleinement. Scott McCloud entraîne le lecteur avec une facilité déconcertante dans ses premières pages, aussi mélancoliques qu’intrigantes.
On apprend rapidement à connaître notre héros, David Smith, artiste désabusé et en panne d’inspiration, confronté à l’hypocrisie et à l’incompréhension du monde de l’art new-yorkais. Son nom, très commun, est révélateur de sa détresse : Ses homonymes sont extrêmement nombreux, comptant notamment un autre sculpteur très célèbre. Dans son esprit, ce nom le condamne à rester un homme parmi des milliers d’autres, à ne jamais se démarquer, à rester l’autre David Smith.
C’est dans ces conditions qu’il va céder à la tentation de conclure un pacte lui accordant le don de sculpter à sa guise et à mains nues toutes les matières. C’est notamment là que Le Sculpteur se démarque du mythe de Faust : En lieu et place de la connaissance universelle, le souhait du héros est la maîtrise ultime de son art, soulevant des enjeux bien différents de l’histoire originale : Qu’est ce qui fait qu’une œuvre est réussie ? Comment un artiste peut-il rester dans la postérité ? Est-ce vraiment possible d’atteindre la reconnaissance éternelle ? Ces questions, entre autres, sont celles qui habiteront notre héros à partir du moment ou il acceptera ce pacte.
Mais ce don n’est pas gratuit, et David n’aura que 200 jours devant lui pour s’en servir au mieux. Comme si ce n’était pas suffisant, il va très rapidement rencontrer l’amour en la personne de Meg, jeune actrice émotionnellement instable. En apportant de la fraîcheur dans sa vie, elle va remettre en cause toutes les convictions de David sur le sens et les objectifs de son existence.
Le talent de McCloud est ici de rendre ses personnages particulièrement attachants, nous faisant très vite ressentir de l’empathie pour eux. Le ton est souvent triste et poétique, mais régulièrement plus joyeux et drôle. L’auteur a d’ailleurs un véritable talent comique, apposant à son histoire des touches d’humour souvent inattendues mais toujours très bien senties.
Scott McCloud se révèle à la hauteur de sa réputation quant à sa maîtrise dite parfaite de la narration. La structure de l’ouvrage, bien que relativement simple et chronologique, réussie à ne pas tomber dans la monotonie, grâce notamment à des timelapses nombreuses et parfaitement maîtrisées, intervenant entre deux arrêts sur des passages déterminants dans l’évolution du héros. Certains de ces arrêts sont répétés à de multiples reprises sans pour autant devenir lassants. Ceux ou David rencontre l’oncle Harry notamment, sont toujours passionnants : intriguants, drôles et glaçants à la fois. Quelques flashbacks interviennent aussi, nous permettant de découvrir le passé de David en parallèle des événements principaux, et accentuant les pensées et les doutes qui le traversent à ce moment précis. Et comment ne pas parler des dernières pages, complètement dingues ?
Enfin, l’auteur se plaît à utiliser de nombreux symboles ponctuant le récit et appuyant certaines émotions. Ainsi, des phrases banales comme Tu peux le faire ou Tout va bien se passer deviennent des symboles de la persévérance ou de l’espoir du héros. La mort, elle, est parfois représentée par une main squelettique (classique), et parfois par une casquette des Red Sox (plus étonnant ?).
Bref, Le Sculpteur est un ouvrage qui pose, et fait se poser de nombreuses questions passionnantes, tout en restant divertissant et facile à lire.
Assez éloigné de la BD américaine que l’on connaît habituellement, c’est donc une excellente découverte ! Retrouvez ce livre en cliquant ici.