Shoba, itinéraire d’un réfugié, d’Antonythasan Jesuthasan et Clémentine V.-Baron

« J’ai tant de noms que je me demande parfois qui je suis. Qu’est-ce que notre prénom dit de nous? Quelle part de notre identité représente-t-il? Eswaran, Anthony, Manyan, Shoba… Je réponds à chacun d’eux, chacun est une partie de moi »

Ainsi commence le livre d’Antonythasan Jesuthasan , qui raconte la dérive d’un homme, et à travers lui, d’une population, broyés par l’engrenage impitoyable de la guerre civile.

Résumé

Au Sri Lanka, alors que les populations Cingalaise et Tamoule s’efforcent de vivre ensemble, un nouveau gouvernement arrive au pouvoir et accorde tous les privilèges aux Cingalais. Nous sommes en 1983, le pays bascule dans la guerre civile.

Critique du livre

Tout commence par ce qui fut l’enfance de l’auteur, pas forcément facile, mais  assez insouciante au fond, malgré la pauvreté, malgré un père brutal, malgré les clivages de la société.

Car le Sri-Lanka est une mosaïque complexe… Ethnique, tout d’abord, avec deux populations majoritaires souvent prêtes à s’affronter: les Cingalais et les Tamouls. Les privilèges ou les vexations imposées aux uns et aux autres par les gouvernements successifs seront à l’origine des hostilités.

La mosaïque est aussi religieuse : les Cingalais sont majoritairement bouddhistes, les Tamouls sont majoritairement hindouistes, même si l’auteur, bien que Tamoul, soit lui-même chrétien! A cela s’ajoutent les musulmans, et les populations dites des « Up country » vivant dans les régions montagneuses.

Il ne manque plus que le plus insupportable, le plus inadmissible, le plus incompréhensible des clivages : le révoltant système des castes, qui concerne l’ensemble de la population, indépendamment des conditions de vie de chacun, puisque l’on peut être pauvre, mais d’une caste supérieure.

A travers le parcours de l’auteur, nous suivons l’enchaînement des événements qui  ont conduit à la révolte des Tamouls, et à son engagement dans la guérilla menée par le LTTE (les Tigres Tamouls). S’ensuivra un engrenage horrible de violence, de massacres, et de tueries qui finiront par le faire quitter-non sans risque, le LTTE.

Vient ensuite un parcours de dérive et de désillusions, où les vautours guettent les faibles, où l’alcool, le tabac et même la drogue vont créer une spirale infernale parsemée de coups tordus, jusqu’à ce qu’arrivé à Paris, Choba finisse par rencontrer Jacques Audiard, qui lui proposera le rôle principal dans le film Dheepan, palme d’or à Cannes.

Est-ce le début d’une nouvelle vie ? Pas si sûr…

Le livre est glaçant, il expose des événements et des situations terribles, un parcours infernal, parsemé de violence, de tortures, d’arbitraire, et finalement d’inhumanité. On a même l’impression que cette inhumanité a fini par atteindre l’auteur, tant son récit semble froid et dénué de tout sentiment, y compris de ressentiments vis-à-vis de ceux qui l’ont fait souffrir. Le récit y gagne sans doute en précision et en objectivité, et puis, sort-on vraiment indemne de telles épreuves?

C’est un livre à lire car c’est un document rigoureux sur ce qui s’est passé pendant 30 ans au Sri-Lanka, sur un itinéraire personnel douloureux, sur ce qu’est encore sans doute aujourd’hui la réalité de ce pays, toujours soumis à des clivages archaïques, sur ce que les hommes sont capables de faire ou de subir.

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