Le dernier blanc – 1941-1945, Yves Gandon

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Ce roman, paru chez Robert Laffont le 10 avril 1945 a été écrit à Paris de 1941 à 1943. Sans doute Yves Gandon y a trouvé exutoire à une situation de confinement relatif dans la capitale occupée. Pour autant, il ne s’agit pas ouvertement d’un roman hostile à l’Allemagne et l’ennemi n’est jamais désigné bien qu’il soit question de trois guerres européennes. La première, la mieux décrite avec l’horreur des tranchées, la seconde de manière très allusive avec seulement une critique implicite du régime de Vichy et surtout la troisième située dans un futur proche d’une vingtaine d’années. La dernière présente à la fois un caractère archaïque et futuriste; par ces certains aspects, elle évoque la Grande Guerre que l’auteur connaissait le mieux (pas directement puisque né en 1899) mais elle anticipe aussi les armes nouvelles et notamment bactériologiques dont Albert Robida s’était fait un peu une spécialité dans trois romans : Les aventures extraordinaires de Saturnin Farandoul (1879) avec des « boîtes à variole« , La Guerre au vingtième siècle (1887) avec des « mines chargées de miasmes concentrés et des microbes de la fièvre maligne, du farcin, de la dysenterie, de la rougeole, de l’odontalgie aiguë et autres maladies« , et L’ingénieur von Satanas (1919).

La der des der & le coccus albus

Dans sa préface, l’auteur exprime bien le contexte surtout psychologique de la rédaction de son livre. Au-delà des lamentations habituelles sur la der des der qui ne l’a pas été et la triste fatalité des conflits, ce qui le désole surtout « un soir d’avril 1941, dans une rue de Paris« , c’est que la guerre « semble devoir se prolonger jusqu’au dernier Européen, jusqu’au dernier blanc« . Certes, en avril, la Wehrmacht n’a pas envahi l’URSS et le Japon n’a pas bombardé Pearl Harbor; la guerre a donc encore une allure de règlement de comptes exclusivement ouest-européen; la tournure idéologique – d’abord axée sur l’affrontement communisme/fascisme, ensuite sur le seul antinazisme – n’est pas très accentuée et un écrivain français peut songer à écrire un roman « voltairien » et sentimental où le dernier blanc est un homme de condition modeste qui, en faisant le récit de ses infortunes personnelles, brosse « le tableau des malheurs de sa race« .

Voilà un long roman d’anticipation de 330 pages qui commence légèrement et ne prétend nullement rivaliser avec les grosses machineries littéraires de Robida ou du capitaine Danrit. Pourtant, comme on le découvre, le coccus albus qui détruit la race blanche mais laisse indemnes les noirs et les jaunes procède non seulement d’une expérience de laboratoire ayant mal tourné mais aussi d’un vaccin administré sans garanties suffisantes et qui provoque une pandémie. Le remède étant pire que le mal suite à des rivalités entre groupes pharmaceutiques, l’auteur se souvient de l’avertissement de Georges Duhamel en 1942 : « la vaccine peut, un jour futur, devenir une maladie grave« . Ce en quoi, il n’avait pas tort et, en toutes circonstances, il faut se méfier d’un vaccin lorsqu’il est mis à la disposition du public et surtout des éventuelles vaccinations obligatoires décrétées par l’Etat.

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Le sans-culottisme sous l’Occupation

L’ouvrage décrit une vie parisienne à la fois dégénérée, festive mais non métissée car les immigrés d’origine non européenne sont très peu nombreux. Cela n’empêche pas le narrateur d’aller dîner avec un ami dans « un restaurant bambuti. Des pygmées mésocéphales, plus barbus que Melchisédech et à l’abdomen piriforme, y servaient dans de blondes calebasses, grenouilles noires, larves blanches, escargots, chenilles, trompes d’éléphants, croupions de macaques et, principalement, des termites grillés, dégouttant de graisse, amenés chaque semaine par avion des forêts de l’Itouri« . La soirée se termine dans un cabaret dansant, L’Astronaute, tenu par un ancien aviateur de l’aérospatiale et dont l’attraction du moment était une revue intitulée D’quoi qu’t’as l’air qui donnait lieu à une rétrospective du costume féminin depuis le début du 20e siècle jusqu’à la mode des seins nus dans les soutiens-gorge transparents et le « sans-culottisme ». Gageons que, pendant la Révolution nationale du Maréchal Pétain, il était difficile, même en fréquentant les zazous, de s’amuser de la sorte.

Masques usagés & musulmanes folâtres

L’offensive microbienne commence par des pulvérisations infectieuses en provenance d’obus.

« L’épidémie propagée par les obus prenait chez nous des proportions effrayantes […] On recommandait, en attendant mieux, le port d’un petit masque protecteur, sur le modèle des masques chirurgicaux. Aussi, dans les rues de Paris personne ne circulait plus sans son masque, et le spectacle ne manquait pas de piquant, la mode comme toujours en France, même aux époques les plus sombres, ayant voulu dire son mot. Aucune femme n’aurait voulu sortir dans la rue sans son petit masque deux-pièces de rechange« .

La coquetterie va se loger dans le masque mais on constate qu’il n’y a ni pénurie ni mensonge d’Etat sur sa prétendue inutilité pour l’ensemble de la population. Il y a des masques de ville, de bureau, d’intérieur, de théâtre et de cinéma (les cinémas sont ouverts!)  « tous de couleur et de forme différente« . On ne doit pas les trouver forcément en pharmacie. « Les masques de ville avaient converti les Parisiennes en filles de l’islam« . Il n’y avait pas de femmes voilées dans les rues de Paris pendant l’Occupation et souvenons-nous que, dans les années 1960, la mode était au « foulard », peu islamique puisque Brigitte Bardot le portait, ainsi que toutes les élégantes. La mode du masque a donc précédé, dans un roman, la mode du foulard. Aujourd’hui, les filles d’islam sont plutôt très confinées (on en voit peu faire leurs courses) et les masques ne sont pas très glamour, c’est le moins qu’on puisse dire. Surtout quand les nombreux porteurs réutilisent des masques usagés, faute de pouvoir s’en procurer des neufs. Ce qui contribue à une apparence de protection, tout cela à cause d’une incurie de nos dirigeants.

Big Pharma vs randonneurs

Très vite, l’évolution de la situation devient catastrophique et il n’est plus question de coquetterie féminine. « A paris, en huit jours, 100 000 personnes étaient atteintes, en quinze jours 300 000« . je vous épargne la description des symptômes de la maladie qui ne laisse même pas le temps d’un transfert dans les mouroirs sous tentes de la Macronie. « Le mystère tenait dans la contagion des vaccinés aux non vaccinés« . Gandon est clair et nous ne pouvons que souhaiter qu’il ne soit pas prophète sur ce point car l’espoir d’un vaccin miraculeux peut enrichir Big Pharma sur le dos des malades, ne l’oublions pas. Pas encore identifié, le nouveau virus mutant est recherché sous l’œil des microscopes électroniques. Le mal progresse. « La France n’était pas seule atteinte. L’Europe entière, les Iles Britanniques comprises, agonisait« . L’histoire ne nous dit pas si le Premier ministre est malade et si la Reine s’est adressée à ses sujets. « Beaucoup de Parisiens formèrent le projet de fuir la contagion en gagnant la campagne. Mais l’épidémie était dans les villages comme à la ville et, pour éviter de la porter en des lieux que, par miracle, elle eût épargnés, interdiction fut faite à quiconque de changer de résidence, sauf autorisation de la gendarmerie« . Heureusement, les autorités n’ont pas eu la stupidité d’interdire les promenades au bord de mer ou les randonnées en forêt. Comme si les habitants de la ville de Fontainebleau respectaient ces consignes grotesques. Va-t-on placer un gendarme derrière chaque arbre ?

« Comment décrire les rues de Paris en ces temps funestes ? Chacun entassait chez soi des quantités de provisions pour avoir à sortir le moins possible. Les rares passants s’écartaient les uns des autres, la tête entrée dans les épaules, appuyant leur masque sur leur visage […] La plupart des usines, devant l’émiettement de leur personnel, avaient dû fermer leurs portes. Plus de théâtre, plus de cinéma, plus de réunions athlétiques. On n’avait licence de tenir aucune assemblée et, sur la demande expresse du gouvernement, le cardinal-archevêque de Paris avait dispensé les fidèles de l’assistance aux offices. Quant aux boutiques de commerçants, on n’en voyait guère d’ouvertes, hors les pharmacies et les magasins d’alimentation, dont les commis n’acceptaient de servir la clientèle que revêtus de gants protecteurs« . On est passé en phase 3 de l’épidémie,  les cinémas ont fermé et tous les commerces non indispensables. Les réunions publiques pour dénoncer la gestion calamiteuse de la crise sanitaire ne sont pas possibles, les dernières libertés sont supprimées par décret, la peur transforme les citoyens, tétanisés par le journal de 20h, en consommateurs abrutis qui se ruent sur les sacs de riz et le PQ, achetant n’importe quoi pour emplir leur caddy. Les évêques, toujours plus lamentables et lâches depuis des dizaines d’années, ferment les lieux de culte au lieu de continuer à célébrer la messe et refusent aux croyants le bénéfice de la prière collective dans les églises et de la communion. Mais ces évêques sont-ils encore catholiques ? Les employés de supermarchés sont contraints d’exiger des masques  et des gants de leurs employeurs qui se montrent hautains et méprisants. C’est à se demander si nous ne vivons pas toujours sous occupation… mais de qui au juste ?

La rumeur se répand bientôt qu’un traitement est efficace et qu’il est testé dans certaines cliniques privées. Cela ne vous rappelle-t-il pas quelque chose ? Espérons que le docteur miracle, travaillant pour un groupe pharmaceutique rival de celui choisi par le gouvernement ne soit pas seulement un bon publiciste à la réputation et aux opinions douteuses. Enfin, le coccus albus est identifié; il s’agit d' »une sphérule de quelque deux dix-millièmes de millimètres qui constituait le corpuscule-virus de la peste blanche, isolé au microscope électronique« .

Dictature libérale-sécuritaire en France  

« L’épidémie avait, depuis longtemps déjà, pratiquement supprimé toute circulation, et les attroupements sur la voie publique étaient d’ailleurs interdits« . Il est vrai que des gilets jaunes ou  chemises d’une autre couleur pourraient bien, cette fois-ci, ne pas se laisser crever les yeux sans apporter une réponse proportionnée aux violences barbares des forces de l’ordre. « Les services publics étaient suspendus, les gares désertes, les Halles centrales ne recevaient autant dire plus de ravitaillement. Dans chaque quartier, seules quelques boulangeries, quelques épiceries restaient ouvertes sous le contrôle de la police. Pour le reste, les survivants vivaient sur leurs réserves, terrés chez eux, l’épouvante au cœur, la mère épiant son fils et la femme son mari, le frère sa sœur et l’amant sa maîtresse. Si la radio française se faisait encore entendre trois fois par jour, plusieurs postes étrangers avaient cessé leurs émissions« . Comme demandait Fernand Raynaud : Tonton, pourquoi tu tousses ?

Le héros du roman, le dernier blanc, miraculeusement préservé (c’est le privilège du narrateur), apporte son témoignage lors d’une traversée de Paris qui ne ressemble pas à celle d’Autant-Lara : « Je traversai Paris à pied, un silence terrible régnait sur la ville déserte. Des Batignolles au Lion de Belfort, je ne rencontrai que trois convois mortuaires. Sur cette nécropole, folâtrait un vif soleil d’avril, les feuillages frémissaient doucement, les oiseaux fendaient l’air dans une liberté souveraine. En traversant le pont du Carrousel, je donnai un regard à la perspective bien-aimée de l’Ile de la Cité, précédée de la proue murmurante du Vert-Galant. La flèche précieuse de la Sainte-Chapelle, les tours divines de Notre-Dame s’enlevaient comme à chaque printemps sur un ciel couleur de pervenche mais le fleuve n’était peuplé que de courtes vagues, poussées par le vent léger. Un frisson me pinça la nuque et je hâtai le pas« . Alors que « les mois d’avril sont meurtriers » surtout dans un film français de 1987, ils ne permettent même pas actuellement la traversée de Paris sous peine d’un contrôle policier et d’une amende. Car, aujourd’hui comme hier, il faut un Ausweis délivré par la Kommandantur, pour pouvoir circuler. Même le roman d’Yves Gandon, écrit pendant l’Occupation, n’avait pas imaginé cela. La réalité dépasse la fiction sur ce point. « Du Lion de Belfort au square de Vaugirard, nous ne rencontrâmes pas une âme. Comme nous arrivions au carrefour de la Convention, un nouveau convoi de camions mortuaires nous dépassa« . Remplaçons les convois mortuaires, relégués à la périphérie, par les ambulances, et nous y sommes presque. Qui vraiment pourrait se vanter de faire une randonnée urbaine sans laissez-passer ? 

L’hyperclasse assiégée et le salut par la Grande Asie

Gandon imagine ensuite comment une poignée de super-riches tente de s’isoler du monde au sein d’une véritable forteresse hyperprotégée dans les Montagnes Rocheuses du Wyoming (avec salle de conseil divisée en compartiments autonomes) et comment la maladie les rattrape. Il décrit aussi les suicides, comme celui de ce « personnage de cauchemar« , qui débouche d’une maison de couture, place de la Madeleine. Il ne porte pas de masque et a enfilé l’une sur l’autre plusieurs robes de femme. Roulant de la hanche, retroussant ses robes sous lesquelles apparaît un pantalon, poussant des cris, il sautille et va se jeter dans la Seine. La mort saugrenue de ce travesti LGBTiste traduit la démence qui guette les plus débiles.

Le dernier blanc, réfugié aux Etats-Unis, assiste à la passation des pouvoirs entre blancs et noirs car la population du nouveau monde est suffisamment mêlée pour achever un grand remplacement. L’Amérique étant historiquement, dès l’arrivée des Européens, terre de colonisation et d’extermination, la suprématie noire ne devrait pas poser problème d’un point de vue éthique. Washington DC, la capitale, est déjà une ville noire en grande majorité même si le pouvoir économique est toujours détenu par les WASP. Nul besoin d’un virus anti-blanc pour faire place nette. New York, rebaptisé Colour City, voit s’effacer les différence entre Harlem et le sud de Manhattan et évite de devenir une ville fantôme comme Paris. Mais notre Français moyen exilé, devenu la pièce unique du Musée de l’Homme Blanc visité par la nouvelle bourgeoisie de couleur, se voit bientôt contacter par des jaunes ambitieux, des Japonais qui ont un projet pour la France. Ils commencent par le ramener chez lui. « Nous suivions le désert du Faubourg Saint-Honoré et je reconnus le palais de l’Elysée […] Nous traversâmes des salons dorés, qui déjà semblaient aussi ensevelis dans le passé qu’une chambre funéraire au temps de Sésostris« . En évoquant Paris, « cette immense ville morte qui allait rejoindre dans la poussière des âges, Thèbes et Memphis, Suse et Ectabane« , Gandon n’a peut-être pas pensé qu’il allait divertir les franc-maçons pour qui les rites d’initiation sont souvent empruntés à l’Egypte antique. Après un voyage d’exploration à travers les provinces françaises, il remarque l’absence de bateaux dans les bassins des ports et la multiplication de nouveaux vaisseaux fantômes au large de Calais, du Havre ou de Saint-Malo, ballottés par la mer, dans l’attente de l’inéluctable naufrage.

Le président de l’institut d’anthropologie de Tokyo, « contrairement à la coutume établie depuis la peste blanche qui avail aboli le shake-hand« , tend sa main au Frenchie. Ayant étudié pendant trois ans à la Sorbonne, il a bien connu Paris et le Quartier Latin. Après avoir évoqué ses souvenirs de jeunesse, il formule son projet un peu comme Otto Abetz auprès de Laval : « Quel dommage que l’Europe, et surtout votre beau pays de France, n’ait pas eu l’idée de se placer sous l’égide de notre empereur. Voyez avec quelle incomparable sagesse il administre l’Union Fédérale Pan-Jaune. Mais tout n’est peut-être pas perdu. Pourquoi Paris ne revivrait-il pas ? J’entends bien que Paris sans les Français ne serait plus Paris. Aussi ai-je longuement réfléchi à ce problème et je crois avoir trouvé la solution. Tout dépend de vous« . Le Nippon explique alors la notion de « race-résultat« . Selon l’éminent spécialiste, le dernier type achevé d’Occidental vivant pourrait faire souche. Et si aucune femme blanche n’a survécu, du moins peut-on trouver des femmes de race voisine dont la formule sanguine ressort au groupe A (le groupe B étant celui des Orientaux). Il en a découvert deux, les Aïnous (îles Hokkaido et Sakhaline) d’origine mongole, les Peuhls d’origine africaine. Les femmes peuhls ne sont pas noires mais cuivrées et leur visage n’a pas de caractère négroïde. On apprécie surtout le fait que le mépris bien connu des Japonais envers les Aïnous, pourtant indigènes authentiques, ne semble pas un obstacle à la production, par « sélection sévère« , d' »une race blanche approximative« . Cette race-résultat relancerait au moins le tourisme et permettrait une intégration politico-économique de  la France puis de l’Europe à la Grande Asie. Le dernier blanc, conscient de ses responsabilités, hésite longuement entre « les femelles d’Aïnous velues comme des ourses et puant le bouc, et les femmes peuhls peut-être moulées à l’antique mais à la peau couleur de casserole« . Finalement, il préfère le suicide par empoisonnement après une dernière pensée pour les deux amours de sa vie : Marie-Jeanne et Manette.

C’était la dernière séance  

Plus sage à première vue que d’autres romans français d’anticipation écrits par des auteurs célèbres et appréciés, comme Ravages (1943) de René Barjavel, Le dernier blanc trouve évidemment une actualité inattendue avec la crise sanitaire actuelle. Si l’on excepte les fantaisies d’Albert Robida, il n’y a guère qu’un autre roman de guerre future, La Guerre des microbes (1922) du professeur Motus, pour aborder le même sujet. On notera qu’aucun écrivain ne semble avoir envisagé l’hypothèse d’un virus naturel. Dans tous les cas, ce sont des virus de synthèse fabriqués en laboratoire et dont l’usage criminel se retourne souvent contre les apprentis sorciers, d’affreux Teutons revanchards la plupart du temps. Il est vrai que certains prétendent que le covid-19 serait artificiel et qu’il aurait été introduit en Chine par des mules de l’armée américaine mais l’information est invérifiée. Le livre part dans plusieurs directions et le ton change d’un chapitre à l’autre, tantôt sentimental, tantôt féroce.

Si l’on compare l’évolution de l’épidémie dans la fiction et dans la réalité, on constate des similitudes inquiétantes, comme si l’auteur avait anticipé la réalité future parfois au détail près. Toutefois, il y a aussi des épisodes décalés comme celui, deux fois répété, du cinéma « odorisé « . Le héros va au cinéma deux fois par semaine où il partage avec Manette une « baignoire« . Faut-il entendre une sorte de loge, comme au théâtre ? Ou plutôt une alcôve dispensant des odeurs aphrodisiaques ? De retour dans les ruines de Paris, le héros s’arrête fasciné devant « un cinéma à l’entrée duquel des affiches et des photographies décolorées annonçaient un grand film superodorisé, Les Cinq Sens. Ce film, il se rappelait l’avoir vu avec Manette et c’était la dernière fois qu’il eût passé toute une soirée avec elle, le dernier spectacle auquel il avait assisté à Paris« . Il s’approche de l’affiche et y voit l’accroche publicitaire pour un « cinéma sensationniste total« . Le scénario du film raconte un cycle de réincarnations à travers les âges. Il pénètre dans la salle désaffectée qui conserve une ambiance mystérieuse  et il est pris de défaillance au souvenir des fantômes qui l’assaillent. Il est possible que cet étrange passage, de tonalité dernière séance, soit une réponse au texte de René Barjavel, Cinéma total – essai sur les formes futures du cinéma (1944), qui avait anticipé beaucoup de choses mais pas les films en odorama qui eurent une existence éphémère dans les années 1980. Quoi qu’il en soit de sa qualité ou de sa puissance prédictive, ce roman peu connu et non réédité – mais facilement trouvable sur le marché du livre ancien et d’occasion – mérite d’être redécouvert. Yves Gandon récidivera dans le genre avec l’excellent recueil Histoires insolites (1949) et La ville invisible (1953).

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