Riverworld, par Philip José Farmer

Riverworld par Philip Jose Farmer

Exposé 100% spoilers sur le Cycle du Fleuve

Sir Richard Burton, l’explorateur, linguiste, écrivain et aventurier britannique meurt en 1890. A sa grande surprise, il se réveille dans une salle immense et sans limite visible où une quantité innombrable de corps inanimés flotte dans l’air. Tous ceux qu’il aperçoit sont humains mais pas nécessairement Homo sapiens. Avant que Burton réussisse à s’évader, il est replongé dans l’inconscience par deux hommes montés sur une espèce de vaisseau aérien.

Riverworld par Philip Jose Farmer

La résurrection scientifique de toute l’humanité sur d’autres planètes

Quand Burton se réveille de nouveau, il gît, entièrement nu et glabre, sur la rive d’un gigantesque fleuve qui coule au centre d’une vallée assez étroite cernée par de hautes barrières de montagnes infranchissables, plus larges à leur sommet qu’à leur base. Il a recouvert le corps qu’il avait à vingt-cinq ans, débarrassé des cicatrices qui le marquaient. Il est perdu dans la masse des quelques trente-six milliards de Terriens qui ont été ressuscités sous un ciel inconnu au bord de ce fleuve qui serpente sur vingt-trois millions de kilomètres. Les hommes sont circoncis, les femmes ont retrouvé leur virginité et les maladies sont éradiquées. Les seules animaux présents sont des vers de terre et des poissons, nécessaires pour le nettoyage des corps en putréfaction.

La résurrection n’est pas l’effet d’une intervention surnaturelle. Elle a été accomplie à l’aide d’équipements scientifiques inventés par des humanoïdes, les Ethiques, qui ont installé sur la Terre des appareils indécelables ayant enregistré tout ce que chaque humain a vécu depuis sa conception jusqu’à sa mort. Il apparaît, dans Le Labyrinthe magique, que ce sont aussi les Ethiques qui ont (ou auraient) doté les humains d’une âme (ou wathan dans leur langage) laquelle serait synthétique, artificielle. Ce point fait problème comme nous le verrons par la suite.

Le Monde-Jardin et le Monde du Fleuve

Au début, les habitants du Monde du Fleuve croient que tous les hommes ayant vécu depuis leurs origines jusqu’au XXIe siècle y ont été ressuscités. Pourquoi d’ailleurs cette date butoir dans une direction et pas dans l’autre ? Ils s’aperçoivent bientôt que tel n’est pas le cas pour les enfants morts avant l’âge de cinq ans ; les autres grandissent jusqu’à vingt-cinq et cessent ensuite de vieillir. Burton apprend d’un Ethique renégat que les enfants de moins de cinq ans, y compris ceux tués par avortement dans le ventre de leurs mères, ont été rappelés à la vie sur une autre planète baptisée le Monde-Jardin où les avortés, les mort-nés et les enfants morts en bas âge sont pris en charge par des parents adoptifs. Ils devront attendre leur tour pour être transférés sur le Monde du Fleuve. Burton apprend aussi que les ressuscités du Monde du Fleuve concernent les hommes ayant vécu entre 99 000 avant notre ère et 1983 (date de la mort d’un personnage d’écrivain). Pourquoi cette première date alors que l’aventure humaine est bien plus ancienne selon les anthropologues ? Parce qu’auparavant les génératrices de wathans n’existaient pas encore.

Les Ethiques de différentes galaxies sont les héritiers de plusieurs civilisations disparues, dont certaines non-humaines, qui ont entrepris d’enregistrer toute l’information et de ressusciter les espèces conscientes des mondes habités, les sauvant ainsi, au moins pour un certain temps. Déguisés en Terriens, mais ne possédant pas le signe sur leur front (ce signe-symbole n’est perceptible que sous un éclairage particulier), certains Ethiques ou leurs agents répandent parmi les habitants de la Vallée la croyance qu’il leur faudra « passer de l’autre côté » (mourir pour renaître mais sans ressusciter avec leur corps biologique) lorsqu’ils auront atteint un niveau éthique suffisant. Comme la mort est d’abord impossible dans le Monde du Fleuve et que le suicidé, l’accidenté ou l’assassiné ressuscite à nouveau (jusqu’à 777 fois) dans une autre région de la Vallée, les habitants doivent gagner le droit de perdre enfin leur conscience individuelle et de se fondre dans la divinité dont on ne sait rien mais dont l’existence est présupposée.

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Les Grands Anciens et les Ethiques

Cette conception qui se rapproche de l’hindouisme par certains côtés (les réincarnations successives et la délivrance finale) est reprise par l’Eglise de la Seconde Chance dont les missionnaires enseignent aussi à leurs disciples l’usage de l’espéranto. Des gens originaires de tant d’époques et de régions différentes ont en effet absolument besoin de disposer d’une langue commune pour se comprendre. Si les hommes appartenant à un même groupe ethnique ou segment temporel sont généralement ressuscités à proximité les uns des autres (pour 60% d’entre eux), les mélanges sont possibles et une deuxième mort peut provoquer un réveil dans un milieu complètement étranger. Rien n’empêche ensuite la sédentarisation ou, au contraire, le voyage le long du fleuve. Malgré leurs immenses pouvoirs scientifiques qui leur permettent, non seulement de ressusciter les morts, mais aussi de remodeler des planètes et fabriquer des écosystèmes, il n’est pas d’abord expliqué pourquoi les Ethiques s’embarrassent de vertus morales qu’ils ne cherchent pas à imposer aux hommes puisque ceux-ci restent entièrement libres de se damner dans le Monde du Fleuve en répétant les mêmes erreurs et en commettant les mêmes abominations que sur la Terre. Même si la lutte pour la vie n’est plus nécessaire par la présence de distributeurs automatiques de nourriture (convertisseurs énergie-matière), les passions et les vices restent les mêmes. Sans certitude aucune sur la fusion des âmes en Dieu, d’autant plus qu’ils prétendent être les créateurs des âmes individuelles, Les Ethiques agissent avec les hommes comme si la foi en Dieu devait s’imposer à tous quand la science fait défaut. Mais cette foi qui semble à la base même du projet de résurrection n’est-elle pas fragile ? La « vraie » religion des Ethiques reste très floue et n’est même pas formulée en dogmes ou exprimée par des rites. Si nous suivons bien, ils veulent donner un répit, plutôt qu’une seconde chance, à tous les êtres conscients de l’Univers sur des planètes aménagées qui deviennent des terres nouvelles. Mais qu’entendent-ils par « conscience » ? Il faudra répondre plus loin à cette question.

Burton et quelques autres Terriens reçoivent la visite d’un Ethique qui refuse de révéler son identité et qu’ils appellent X ou le Mystérieux Inconnu (on apprend ensuite qu’il s’agit de Loga, membre du Conseil des Douze). Loga est un traître qui s’efforce de contrecarrer le plan de ses collègues pour des motifs ambigus ; soi-disant avec l’intention de prolonger le temps imparti à sa famille. En réalité son projet est probablement plus égoïste comme cela sera révélé dans Les Dieux du Fleuve. Les héros découvrent que le Fleuve, comme le serpent de Midgard, sort d’une mer située au pôle Nord, gagne en sinuant le pôle Sud puis traverse l’autre hémisphère pour regagner la mer boréale. Une tour immense dont les fondations reposent sur le fond rocheux de cette mer et le faîte se perd dans les nuages abrite le quartier général des Ethiques, l’ordinateur central, un puits contenant les wathans des morts et les archives où sont renfermés les enregistrements corporels. Dès qu’un corps est ressuscité, son wathan qui contient tous les souvenirs du mort et constitue la source de la conscience individuelle s’y rattache. Le ressuscité n’est donc pas un clone puisque l’identité est préservée. Mais les corps successifs ne sont que des enveloppes biologiques auxquelles  il n’est pas nécessaire de dresser une sépulture (la question des sépultures n’est pas abordée).

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L’origine controversée des wathans

Des groupes de Terriens qui s’affrontent fabriquent des navires et un dirigeable pour remonter le fleuve jusqu’à sa source, franchir les montagnes et pénétrer dans la tour. Mal entretenue et avec un ordinateur défaillant dont la programmation a été déviée, la tour va devenir un enjeu de lutte pour son contrôle. Hermann Goering régénéré se sacrifie en vain et Alice Liddell Hargreaves, l’inspiratrice de Lewis Carroll, réussit à trouver un mot de passe décisif.

Dans Le Labyrinthe magique, Loga donne quelques précisions : « Alors que l’Univers était encore dans sa prime jeunesse et après que l’explosion du globe d’énergie-matière original eut formé les premières planètes habitables, l’évolution a entraîné sur l’une d’elles l’apparition d’une race d’êtres différents de ceux qui peuplaient les autres. Cette différence n’était pas d’ordre physique. Tous les êtres conscients possédaient des corps de bipèdes ou de centaures, des mains, une vision stéréoscopique, etc. Ils étaient intelligents mais dépourvus de leur individualité, de la notion du ‘moi’. Les êtres intelligents, d’un bout à l’autre de l’Univers, n’avaient pas la notion du ‘moi’ (avec aujourd’hui un certain nombre d’exceptions). Au début de leur histoire, les êtres que j’ai dit différents des autres ne l’étaient pas sur ce point. Mais ils pratiquaient la science, même si ils ne l’abordaient pas de la même façon que des gens dotés d’une conscience individuelle. Les concepts de religion, de dieux ou de Dieu unique leur étaient aussi complètement étrangers. Ces concepts n’apparaissent qu’à un stade avancé de la découverte du ‘moi’. Heureusement pour ces êtres, que leurs successeurs ont baptisé Les Premiers, l’un de leurs savants a provoqué accidentellement la formation d’un wathan au cours d’une expérience. C’était le premier indice qu’ils rencontraient l’existence d’une forme d’énergie extra-physique. Le savant anonyme qui avait fortuitement fabriqué un wathan ignorait de quoi il s’agissait mais il poursuivit ses expériences et engendra d’autres wathans en les extrayant du champ qui partage le même espace que la matière mais sans interaction. Les premiers wathans se sont attachés aux premiers organismes vivants rencontrés : insectes, arbres, etc. La vie serait une forme d’énergie extra-physique, une interface qui attirerait le wathan. Le wathan est source et agent de la conscience individuelle mais il ne peut l’enfanter que par le biais d’un être vivant doté d’un système nerveux. Il faut aussi que le rattachement ait lieu à l’instant même de la fécondation, de l’union du spermatozoïde et de l’ovule. »

Les hommes de l’ancien type se sont éteints progressivement pour laisser la place à d’autres dotés d’une conscience individuelle, c’est-à-dire plus probablement d’un individualisme de type moderne que les Ethiques semblent considérer comme un progrès. Progrès paradoxal et provisoire puisqu’il est recommandé ensuite de fusionner avec Dieu.

Dans Les Dieux du fleuve, Farmer rapporte les pensées de Frigate, son double : « Frigate avait professé durant de nombreuses années que ce qu’on appelait l’âme n’existait pas. Puis il lui était venu à l’esprit que si Dieu n’avait pas donné d’âme à l’Homo sapiens, il appartenait à ce dernier de réparer l’omission. Il avait écrit un récit fondé sur l’idée d’âmes artificielles qui conféraient à l’homme l’immortalité que Dieu, s’il y avait un Dieu, avait négligé de lui octroyer. A sa connaissance, personne n’avait encore songé à ça, et il tenait là un excellent point de départ pour un roman de science-fiction. Mais l’humanité pouvait-elle assurer seule son propre salut quand l’âme synthétique, fut-elle un instrument, avait été inventée par des extra-terrestres ? La science ne doit-elle pas céder la place à la métaphysique ? »

La Tour noire, quartier général des dieux du fleuve

Farmer avait annoncé la résolution de toutes les énigmes avec Le Labyrinthe magique. Dans la suite, Les Dieux du fleuve, il révèle ce que nous avions déjà deviné : le passage vers l’autre côté promis par les Ethiques aux êtres ressuscités sur leurs terres nouvelles n’est pas une certitude scientifique mais une simple espérance ou un article de foi. Mais encore, les vérités partielles dispensées par les sectes ou arrachées aux confidents du Conseil dissimulent un mensonge : les résurrections peuvent continuer ad infinitum pour ceux qui contrôlent l’ordinateur et puisent à leur guise dans la réserve d’âmes. Les Ethiques ne sont donc pas nécessairement les plus sages mais, d’abord, les plus forts. Loga, en éliminant ses semblables, s’est servi des Terriens pour obtenir le pouvoir suprême. Puis il est à son tour éliminé quand les Terriens, prenant le contrôle de la Tour, comprennent qu’ils ont un rival dangereux et sans scrupule. Le commando vainqueur a alors le choix : attendre sur le Monde du Fleuve l’arrivée des enfants en provenance du Monde-Jardin au risque d’une confrontation avec d’autres Ethiques qui peuvent les renvoyer au néant. Partir en colons quasi-immortels à la conquête de l’espace vers de nouvelles planètes, sans oublier leur kit de terraformation. Richard Burton choisit l’aventure.

Après ce résumé qui suit dans les grandes lignes celui que Farmer donne lui-même dans une postface mais en y ajoutant critiques, commentaires et extraits, il faut répondre aux questions concernant l’origine supposée des wathans et la conception de la conscience que se font les Ethiques, conception qui oriente le Projet qu’ils veulent mener à bien et pour lequel ils déploient une technologie et des efforts considérables, c’est le moins qu’on puisse dire.

Riverworld par Philip Jose Farmer

La conscience n’est pas un produit du cerveau

Tout d’abord, Farmer gratifie son lecteur d’une longue dissertation sur les relations d’interdépendance entre matière et esprit. « Si le wathan ou âme est l’individu, le siège de la conscience, celle-ci ne procède donc pas du cerveau ». En résumé des quatre pages, on retient que le wathan est premier par rapport au corps mais qu’il a besoin d’un corps pour se développer. Et le corps sans wathan ne serait pas personnalisé. L’homme aurait pu inventer le langage et la science mais n’aurait ni sens religieux ni conscience individuelle. Pour que l’homme devienne vraiment homme et puisse choisir entre le bien et le mal en exerçant son libre arbitre, il lui faut une conscience et pas seulement une banque de données ou une calculette dans la tête. Un wathan détaché devient une âme errante et les démons sont des esprits désincarnés. La nécessité d’un support matériel s’impose à la conscience (esprit / pensée / ka ) pour qu’elle soit active.

Le problème est que Farmer et tous ses personnages confondent en permanence individu et personne. La première humanité aurait vécu comme des fourmis avec une forme d’intelligence collective. Puis l’âme, produit de laboratoire, ajouterait le sens moral et la capacité pour l’homme de se relier à un niveau de conscience supérieur, ce qu’on appelle religion ou spiritualité. Mais c’est méconnaître le fait que la conscience n’est pas qu’individuelle ; elle ne l’est qu’en un sens dérivé et illusoire. Il y a des consciences collectives attachées aux familles, aux tribus, aux ethnies et aux nations. Ce n’est pas pour rien qu’on invoque « l’âme d’un peuple » pour expliquer sa renaissance ou son déclin. Dans les sociétés primitives, l’individu n’était rien en dehors de son groupe d’appartenance et un simple bannissement (un renvoi du village) équivalait souvent à une mise à mort. Jusqu’au Moyen-Age, la conception traditionnelle de la personne rattachait l’homme à une communauté de destins ; ce n’est qu’à partir de la « Renaissance » que commence à triompher la notion moderne d’individu. La conscience n’est donc pas l’apanage de l’individu, loin s’en faut, et Adam – le premier homme – qui résumait en lui toute l’espèce et n’était donc pas une unité distincte de ses semblables (qui n’existaient pas encore) était néanmoins une personne douée de conscience et de libre arbitre.

D’autre part, il existe des états de conscience supérieurs à la conscience individuelle qui ne détruisent pas l’identité de la personne mais la dilatent dans un soi auquel le moi doit sacrifier ses besoins immédiats et ses attachements passagers.

Le péché d’orgueil des anges rebelles

Farmer qui, par le truchement de son personnage d’écrivain, défend le bien fondé du point de départ, fait douter Alice dans Les Dieux du fleuve : A propos des wathans prétendument fabriqués par une race extra-terrestre, elle questionne : « Etait-ce vrai ? Absolument vrai ? ». Et Loga-Lucifer répond que oui (mensonge probable) mais qu’il n’est pas sûr que les wathans rejoignent un super-wathan (une conscience cosmique). D’ici là, l’immortalité des maîtres de la Tour peut durer des millions d’années, en disposant de l’équipement de résurrection. Le délai supplémentaire accordé aux hommes pour faire leur salut était assurément le Projet de départ de cette race très ancienne. Des êtres ayant le pouvoir de ressusciter les morts n’auraient-ils pas le devoir éthique de les ressusciter tous, sans distinction ? La moindre sélection – sur quels critères ? – aurait fait des Ethiques les égaux des dieux, ce qu’ils ne sont pas et se refusent à être même si ils peuvent agir comme si ils l’étaient. En ce sens, les Ethiques sont des sages qui ont fait du Monde du Fleuve un authentique purgatoire. Mais le Projet est saboté par des sortes d’anges rebelles parmi les élus qui découvrent que le délai peut être prolongé indéfiniment. Travailler à son salut par le progrès moral devient alors superflu et incertain. Tous les moyens sont bons pour s’octroyer dans l’Univers la domination par la conquête et la discrimination sur toutes les formes de vie. Lucifer, on s’en souvient, paya très cher son orgueil démesuré.

Riverworld par Philip Jose Farmer

Le messianisme discrédité

Le cycle du Fleuve comporte 5 volumes et des nouvelles pour un total d’environ 1800 pages. Bien que Farmer rappelle à plusieurs reprises, par le truchement de ses personnages, que son univers romanesque est celui de la science-fiction, il n’entre jamais dans le détail des dispositifs complexes qui permettent la résurrection et passe complètement sous silence les moyens employés par les Ethiques pour remodeler les planètes, contrôler la faune et la flore, sans parler du climat qui paraît doux toute l’année. Comme par ailleurs, les emprunts aux croyances religieuses sur l’après-vie sont nombreuses et variées, on peut se demander si l’auteur, fasciné par l’eschatologie, n’a pas été tenté d’écrire une vaste anticipation théologique. Il se plaît à comparer le Fleuve, tantôt au Styx, tantôt au Jourdain et à multiplier les allusions au christianisme, à l’hindouisme ou à la mythologie nordique. Pourtant, je pense que ce n’est pas le cas. Les références ont plutôt un effet d’inventaire comme dans un roman de Balzac, sans qu’on puisse en dégager une théologie syncrétique ou conclusive. L’humour, la forme dialoguée et relâchée des révélations écartent tout soupçon de prosélytisme fut-il seulement littéraire.

Dans le Monde du Fleuve, les sectes nouvelles fleurissent, notamment l’Eglise de la Seconde Chance, mais il faut souligner que le messianisme monothéiste est complètement discrédité. Aucun messie n’est au rendez-vous de l’humanité qui doit se débrouiller par elle-même pour s’ouvrir le chemin du paradis. Ce qui peut passer pour une responsabilité écrasante est aussi une liberté fondamentale et non négociable que les Premiers, ces grands anciens venus du fin fond des galaxies ont tenu à préserver pour tous les êtres pensants de l’Univers. Que le projet puisse ensuite être détourné par leurs successeurs, une poignée de traîtres et d’aventuriers, apporte a contrario la preuve que les premiers Ethiques n’ont pas hésité à « passer de l’autre côté », donc à échapper à toute détection, quand ils pouvaient céder à l’hubris d’un Loga ou d’un Burton. Comment auraient-ils pu résister à la tentation sans la certitude, quelle qu’en soit la nature, d’une vie après la vie ? Toutefois, et ce sont les dernières informations importantes arrachées à Loga dans Les Dieux du fleuve : « Cela adviendra peut-être un jour. Je n’en sais rien ; personne n’en sait rien ». La remarque laconique du traître en dit long. Les Premiers Ethiques, malgré toutes leurs connaissances scientifiques et techniques, n’avaient pas obtenu la preuve expérimentale de la vie éternelle après l’existence terrestre. Mais ils en avaient la certitude métaphysique (pas seulement religieuse) grâce à une forme d’illumination intellectuelle et c’est pourquoi ils ont franchi la limite après avoir cédé la place à leurs successeurs parfois indignes. Dans son égarement, Loga ne nie pas l’intime conviction de ses maîtres mais, comme il continue à penser que les wathans sont des entités artificielles, il voudrait se persuader que le superwathan lui-même sera, un jour, une fabrication créaturelle, une simple addition de wathans individuels qui produiront mécaniquement leur synthèse. Burton devine la « folie » de son rival et l’élimine en le cryogénisant pour éviter au bougre de ressusciter en cachette dans une des pièces secrètes de la Tour noire.

Burton devient finalement une sorte de Flash Gordon amélioré, ce qui est quand même plus convenable et rassurant pour un héros populaire qui veut conquérir l’Univers sans se poser trop de questions.

Des questions, mais d’un autre genre, Philip José Farmer s’en pose, comme tous les romanciers professionnels qui cherchent à gagner honnêtement leur vie… même en recopiant une biographie de Hermann Goering, ce qui est d’ailleurs intéressant pour quiconque, comme moi, ne s’était pas penché sur ce héros de l’aviation allemande et éminent dignitaire du régime national-socialiste. Après tout, n’ai-je pas moi-même paraphrasé le résumé que Farmer donne des volumes 1 à 4 ? La dimension encyclopédique de l’œuvre de Farmer, en tous ses recoins, autorise ces inclusions quand elles contribuent à l’émergence moins d’une somme de connaissances que d’un comportement digne de la personne humaine. Celui, par exemple de traiter courageusement avec la coalition des « super-éditeurs » qui hantent peut-être la Tour noire et détiennent le pouvoir d’accepter ou de refuser le manuscrit du Cycle du Fleuve. Il eût été, c’est vrai, vraiment dommage que l’ouvrage ne soit pas publié car, dans cette hypothèse, vous n’auriez pas eu le loisir d’en lire -jusqu’au bout – ce compte-rendu analytique écrit sous l’influence d’un excellent whisky fabriqué dans une pierre à graal et vendu rue d’Anjou à Paris.

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