Bons baisers d’Iran par Lénaïc Vilain

Je me souviens avoir découvert Tintin au Congo à l’école primaire. Séduit par tous les gags absurdes avec les animaux sauvages, je cours dire à mon institutrice : « wesh c’est trop marrant et tout Tintin il perce un trou dans un rhinocéros et ensuite il fait péter une barre de TNT à l’intérieur mort de rire » – aussitôt elle m’arrête : « moi je ne l’aime pas trop celui-ci. » Ma tronche demande pourquoi. Comme – ça je l’ai compris plus tard – elle ne voulait pas me dire frontalement « Hergé c’est un facho nazi KKK négrier », elle m’a répondu gentiment, oh le bel euphémisme : « Les premiers Tintin ne sont pas très réussis parce que Hergé n’est pas allé se documenter sur place. » Cela ne saurait être dit de Lenaïc Vilain et de ses Bons baisers d’Iran.

Synopsis

Lénaïc et sa compagne voyagent dans un pays inattendu qui vient tout juste d’ouvrir ses portes au tourisme : l’Iran. C’est l’occasion pour lui de nous faire découvrir la civilisation iranienne contemporaine, ses ruines et son passé, mais aussi la condition de la femme, l’homosexualité, le développement économique, comment s’arranger avec la loi coranique pour vivre une sexualité épanouie.

Critique

bonsbaisersdiran04Il semble que ce soit une coutume aux éditions Vraoum, Bons baisers d’Iran en premier lieu est un beau livre, qu’on aime à tenir entre nos mains calleuses, et qui fait sourire dès les crédits (“Derviche correcteur” / “Soufis relecteurs” / “Muezzin Presse”). Autre atout esthétique, non négligeable en cette période de Noël : la couverture se limite aux couleurs iraniennes, vert rouge blanc doré ; autrement dit, si vous êtes en rade de déco pour le 24, et que vous constatez en plongeant dans les magasins qu’il y a moins de queue à la librairie qu’à Maisons du monde, il y a toujours moyen de s’acheter un stock de Bons baisers, et d’en caler un peu partout sur votre table. En plus, ça fera varier les radoteries des plus âgés : au lieu de geignements contre le luxe lumineux de vos ornements (“à mon époque, on faisait des guirlandes avec des cheveux et du pain dur !”), vous aurez des râles contre l’islamisation de la tradition française. Vous allez leur faire regretter la version de Noël que l’année dernière ils conspuaient, à ces vieux steaks ! Mais ce qui est le plus émouvant avec ce bouquin (toujours d’un point de vue matériel), c’est que les choix éditoriaux accompagnent parfaitement la démarche de Lenaïc Vilain (il paraîtrait qu’à cause de son nom le Père Noël ne lui a jamais rien apporté). Vilain pose ses gros dessins limite baveux sur du papier parcheminé, en bichromie noire et or, comme les vieux écrits perses. Il prend un support noble, et le couvre d’histoires pragmatiques, dessinées pragmatiquement. Cette opération est conforme au fond. Le bouquin prend un pays qui suscite beaucoup de fantasmes (généralement négatifs) et vérifie concrètement ce qui s’y passe. Comme le montre la composition de la couverture, Vilain oppose à la verticalité des fabulateurs une pleine horizontalité de piéton, ici et maintenant.

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Quand la quatrième couverture annonce qu’on va découvrir “la culture contemporaine d’une population partagée entre conservatisme et ouverture”, on se met à avoir la flemme : je croyais que j’allais me lire une bonne petite bédé, et en fait me voilà devant une brochure d’agence de voyage. C’est que cette quatrième de couv présente mal l’affaire. A mon sens le livre est réussi parce qu’il ne se préoccupe pas de démontrer quoi que ce soit, mais de montrer des gens qui rencontrent d’autres gens, tous ceux-là ayant avant tout la préoccupation de vivre, c’est-à-dire grosso modo de manger, dormir et occuper bon an mal an le laps de temps qui reste. Bons baisers contient très peu de considérations distanciées sur le choc des civilisations ou je sais pas quoi, mais énormément de détails terre-à-terre, les questions posées à la sortie de l’aéroport, le prix d’une chambre d’hôtel, le prix d’une course en taxi, le cours de la monnaie iranienne, la disposition des magasins, comment traverser une route, la température, le vent… Vilain ne prend jamais la position de celui qui sait, ou de celui qui super décontracté et ouvert déambule fièrement saluant tout le monde, goûtant dans tous les plats. L’effort pour rendre honnêtement le réel se joue aussi dans le portrait que l’auteur fait de lui-même. Il se montre revêche, refusant des opportunités d’exploration qu’un Antoine de Maximy aurait rêvé d’avoir. On le voit fuir un imam qui lui propose d’assister à un cours de religion pour jeunes filles, on le voit être volontairement arrogant avec des Rennais parce qu’il “déteste croiser des Français en voyage” et les remarques vachardes ne sont pas exclues : « Dans le guide, ils disent que Téhéran est la ville la plus moche d’Iran. – Bah c’est un peu con de la choisir comme capitale. » Puisque Vilain ose se dépeindre dans cette impureté, curieux mais pas trop, tolérant dans la mesure de son confort, on est enclins à recevoir avec bienveillance toutes les personnes rencontrées, même les plus louches, mêmes les plus agressives – on sent bien que chacun a ses raisons. La bande-dessinée en question a, enfin, l’élégance de nous laisser nous démerder avec tout ça. Nous ne sommes pas tenus d’en arriver à la même conclusion que Lenaïc Vilain et sa gow au sortir de leur voyage. D’ailleurs aucune conclusion n’est formulée. Et c’est peut-être ça ce qu’il faut retenir du périple : à l’épreuve du réel, aucune généralité ne tient.

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