La Colère du Marsupilami par Yoann et Vehlmann

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L’autre jour, {évocation d’un souvenir personnel réel ou inventé de préférence farfelu et sans rapport apparent avec l’oeuvre en question}. En fait, {développement du souvenir personnel de préférence drolatique et contenant quelques allusions aux fluides corporels}. C’est vrai, {explicitation du lien inattendu entre le souvenir et l’oeuvre en question sorte de twist mental qui fait chute pour l’introduction et permet d’embrayer sur la critique où la pertinence et la perspicacité l’emporteront sur la pugnacité}. Voilà, mon cœur est transparent, vous avez désormais toutes les astuces et recettes pour faire votre propre critique de moi, à propos de n’importe quel sujet, le dernier Almodovar ou le grillé aux pommes de Blondel et Fils. Si je crame ainsi mes cartouches, c’est que je prépare le terrain aux inévitables – étant donné la conjoncture actuelle – remakers peu inspirés qui seront chargés de mes papelards. A force de lire des Yoann et des Vehlmann galérer avec leur univers imposé, celui de Spirou et Fantasio par exemple, on commence à prendre pitié.

Synopsis

Spirou doit se rendre à l’évidence devant les photos du Marsupilami offertes par Don Contralto à la fin du tome précédent : il n’a aucun souvenir d’avoir rencontré l’animal. Et Fantasio pas plus que lui. Quant au comte de Champignac, il entre dans de terribles colères dès qu’on évoque le sujet. Tout ça ne peut avoir qu’une explication : ils ont été zorglondisés pour leur faire oublier qu’ils ont été un jour les amis du Marsupilami.

Critique BD : La colère du Marsupilami

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Je ne vais étonner personne si je rappelle pour commencer la pauvreté créative des grandes entreprises de culture mainstream actuelles. “Dans les vieux pots les soupes les plus rentables” c’est le slogan des producteurs du moment et, tiens, pourquoi pas ? On va pas se fâcher par principe, après tout on se rejoue le même schéma narratif depuis Homère, et puis j’ai sous la main un Positif de 54 et la rédac s’y plaint – j’ai bien dit 54 – qu’au cinéma y a plus que des remakes. Ce serait une sempiternelle plainte, à ne pas prendre très au sérieux, le fameux cri qu’on pousse face à l’absence de loup. Mais ces derniers temps la pratique du remake est modifiée par la prise en compte d’une catégorie de messieurs et dames émergée relativement récemment – largement célébrée d’ailleurs dans les pages d’Oblikon – j’ai nommé les geeks. La culture pop ne sort plus de chez elle sans sa douzaine de signes distinctifs (dont trois badges sabre-lasers) alors qu’au départ ce qui fonde la communauté geek c’est une culture pop nue, qui s’ignore comme culture. Les conséquences esthétiques de cette geekification sont rarement enthousiasmantes : au ciné, à la télé, dans la bédé, on privilégie la copie carbone superficiellement modernisée à la recréation. Aussi efficace qu’on puisse le trouver, le dernier Star Wars – pour le lecteur de 2017 et suivantes : il s’agit du Réveil de la Force par J. J. Abrams – n’est qu’une reproduction du premier Star Wars qui intègre le nouvel ordre social et manifeste à intervalles réguliers qu’elle sait bien que Star Wars c’est un truc important. Rien de nouveau sous deux soleils. Plus proche de notre cas d’aujourd’hui, Ferri et Conrad, avec leur reprise d’Astérix, essaient de retrouver l’alchimie Uderzo-Goscinny de la belle époque en omettant qu’ils ne sont, aux dernières nouvelles, ni l’un ni l’autre. Certes dans l’idée de pop culture, il y a l’idée de cocon refuge au milieu des tempêtes de l’existence. La pop culture par définition est imperméabilisée contre la maladie et la mort. Brian Wilson, l’un des plus grands chanteurs pop ever, refuse significativement de prendre acte du passage du temps, de l’usure de son corps, et continue de s’écrire des chansons qu’il est incapable de chanter autrement qu’avec de l’autotune. Alors merci, tout ça est très réconfortant, mais quand même on se fait chier. Constatez la déprime : on en est à regretter l’époque où George Lucas et Uderzo faisaient de la roue libre avec leur franchise car au moins ils faisaient quelque chose.

Yoann et Vehlmann pour un cahier des charges embarrassant…

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On l’a dit, la bande-dessinée n’échappe pas à ce phénomène. On a pu lire y a pas si longtemps un nouveau Corto Maltese quoi ! Qui avait exactement les caractéristiques énoncées plus haut : très révérend, trop révérend. Il faut savoir, dixit je ne sais plus quel éditeur dans le magazine Casemate, que sortir un nouvel opus de tel ou tel héros est toujours fructueux puisque la mise en gondole rappelle aux chers lecteurs l’existence de la franchise et fait vendre dans le même temps un bon paquet de vieux albums. En d’autres termes, en matière de bédé, il existe des sorties techniques, d’albums inédits produits sans soin juste pour faire tourner les stocks. Ce nouveau Spirou, qui organise les retrouvailles du groom et de son pote Marsupilami, disparu subitement des aventures du premier pour de sombres affaires de droit – petit événement geek en somme, cross-over entre un spin-off et sa série originelle – est-il à compter parmi ce genre de sorties ? Yoann et Vehlmann, en tout cas, paraissent embarrassés par leur cahier des charges. Yoann au dessin ne tranche pas entre modernité et classicisme. Par exemple, son Spirou change de gueule à chaque case. Ce n’est pas un problème en soi, on pourrait imaginer un Spirou qui trahit le contrat de simplicité et de lisibilité de la BD traditionnelle. Mais c’est le seul personnage, le seul élément dessiné pour tout dire, à recevoir ce traitement. Certains disent que cette incohérence esthétique est la manifestation de la flemme du dessinateur, qui aurait publié ses premiers jets sans retouche. Je crois que c’est un excès de zèle de sa part. Comme Spirou est le héros, Yoann en fait le personnage le plus expressif, le plus réactif, quitte à ce que sa représentation soit instable. De même, le dessinateur fait beaucoup plus d’efforts, pour le découpage et la mise en scène, dans les scènes d’action que dans les scènes statiques. Par un certain côté, c’est logique de nous en mettre plein la vue pendant les phases spectaculaires et de se calmer pendant les phases de dialogue. Mais dans la BD classique – le meilleur exemple étant Hergé – il y avait une sorte de platitude de composition, d’égalité entre les cases et les pages, la dynamique étant impulsée par le dessin, qui rendait la lecture fluide par delà les pauses et accélérations du récit. Par ailleurs on a aujourd’hui des cas – je pense à Sword Art Online notamment – où les mecs font des effets de ouf y compris quand les héros se contentent de parler sur un banc. Yoann choisit un peu les deux et ça produit une lecture heurtée, qui enfreint le plaisir qu’on a habituellement à lire ce genre de bande-dessinées.

Vehlmann, au scénar, ne s’en sort pas beaucoup mieux

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Il oscille perpétuellement entre la naïveté coutumière de l’univers Spirou – des personnages nettement caractérisés propulsés en avant – et des efforts de psychologisation, tels qu’on peut voir à plusieurs reprises Spirou et Fantasio se disputer et pas pour rire, le dernier addict au travail, le premier excessivement sentimental. Le scénariste hésite également dans son rapport à l’univers de Franquin. D’un côté il est très soucieux d’assurer la continuité entre ce tome et les premières aventures du Marsupilami, de réemployer tout le personnel, Zantafio, les personnages de Gaston, mais de l’autre il ne cherche pas à retrouver l’esprit, la fantaisie, le burlesque. Au moins, avec le cas de La Colère du Marsupilami, on n’a pas le même sentiment que d’habitude, les auteurs ne se rendent pas d’avance devant l’ampleur de la tâche, il semble qu’ils aient réellement des choses à proposer – mais Dupuis ne laisse pas passer. Il existe à côté de la série canonique des Spirou une collection Spirou vu par dans lesquels des auteurs divers viennent manipuler en toute liberté le héros et l’univers, le temps d’un one-shot. C’est là désormais que Spirou se fait. C’est plus généralement dans ce genre de bulles, à marge de manœuvre un peu plus ample que la normale, que se renouvelle la pop culture.

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