Interview de l’écrivain Claude Bourgeyx, auteur de Chacun pour soi

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Ayant exercé des activités alimentaires avant de se consacrer exclusivement à l’écriture, Claude Bourgeyx est un romancier et dramaturge
bordelais dont les textes ont pu être joués par des comédiens tels que Claude Piéplu, Bernadette Lafont ou encore Anémone. Dans l’écrin de son écriture concise et ciselée, il dépeint souvent des personnages un peu à l’écart dont il se moque avec tendresse. Nous avons eu le plaisir de l’interviewer à l’occasion de la sortie de son nouveau livre, “Chacun pour soi”, un recueil de cinquante-huit dialogues dans la continuité directe de “Des gens comme ça” paru il y a deux ans…

I. Votre texte fait penser à du théâtre, mais déroge en même temps aux conventions théâtrales classiques – les personnages ne sont par exemple pas nommés. Comment cette forme vous est-elle venue ?

Elle m’est venue naturellement, par goût de l’écriture théâtrale, une écriture dynamique, la parole portée, en mouvement. Et je n’ai pas nommé les personnages, car je n’en ai pas senti la nécessité. Ils sont, et cela, me semble-t-il, suffit.

claude_bourgeyx_chacun-pour-soiII. “Chacun pour soi” s’apparente à un catalogue d’idées reçues que vous vous plaisez ensuite à détourner (le fait qu’il faille s’essuyer les pieds, utiliser un langage châtié, se souhaiter une bonne santé pour la nouvelle année, ou prendre soin de son hygiène corporelle). Les avez-vous collectionnées sur un brouillon avant de commencer à écrire ?

Non, je n’ai pas de carnet où noter quoi que ce soit. Les idées me viennent en écoutant et regardant autour de moi. Je les stocke dans un coin de ma tête et je vais y puiser au moment où je m’installe devant mon clavier d’ordinateur.

III. Avez-vous écrit ces “scènes” au compte-goutte ou plusieurs d’un seul jet ?

Parfois au compte-goutte, parfois plusieurs d’affilée, cela dépend du temps dont je dispose et surtout, oui surtout, de ma bonne ou moins bonne disposition pour écrire. Quand je ne suis pas en bonne disposition je m’y oblige, alors là c’est au compte-goutte ! Et si je m’y oblige c’est parce que je sais que de toute façon, même si c’est douloureux, j’arriverai à produire, ne serait-ce qu’une ou deux “scènes”. C’est un peu comme faire sa gymnastique ! On n’en a pas forcément envie, mais on la fait parce qu’on sait qu’au final on en tirera un bénéfice.

IV. Quelle est pour vous la clé d’un dialogue réussi ? Ceux de “Chacun pour soi” semblent rigoureusement construits avec, à chaque fois, une chute, comme dans une nouvelle.

Première clé : que le dialogue aille bien “en bouche”. De style parlé ou littéraire, il faut que la bouche puisse le projeter sans contours, c’est-à-dire comme s’il se créait au moment où on le dit. Ensuite, bien sûr, il y a la clé du rythme, et celle des mots utilisés, mais cela, finalement, ramène à l’exigence d’une bonne “mise en bouche”. Et pour ce qui est des dialogues brefs, comme dans “Chacun pour soi”, il est indispensable d’épingler le mot juste, celui qui va peut-être faire image, donner une indication sur la personnalité du personnage, claquer fort par son pouvoir d’évocation. Bref, il ne faut pas faire gras. Aller directement au nerf. Moi je dis “écrire au rasoir”.

V. Donc pour savoir si les dialogues vont, vous les mettez-vous en bouche au moment de l’écriture ?

Oui, bien sûr. Dix fois s’il le faut, jusqu’à ce que rien n’accroche. Je parle beaucoup quand j’écris des dialogues !

VI. Avez-vous fait plusieurs versions de ces textes ? pouvez-vous nous parler de votre/ vos méthode(s) d’écriture ?

Plusieurs versions c’est certain, dans la mesure où j’y reviens inlassablement, jusqu’au polissage final. Je change un mot, une tournure de phrase, je raccourcis une réplique, j’affine… C’est une partie du travail d’écriture que j’aime beaucoup. Me retrousser les manches et pétrir la matière. Un premier jet est un brouillon. Le bébé est né, il reste encore à le langer.

VII. La mort et la maladie (eczéma purulent, hémorroïdes, aphtes…) sont très présents dans votre livre. En traiter avec légèreté et humour vous permet-il d’exorciser des peurs ou des angoisses que vous pourriez avoir par rapport à elles ?

A votre avis ? Bien sûr ! Traiter de la mort avec légèreté c’est lui faire un doigt d’honneur. C’est mettre la peur hors jeu et l’angoisse en sourdine. Un grand classique !

VIII. De l’adjudant à la retraite des “Petites Fêlures” à Mademoiselle Werner en passant par “Des gens comme ça” ou “Chacun pour soi”, vous avez fait des fêlés, des fous et des mythomanes vos choux gras…

De mon point de vue tous ces personnages ne sont pas des fous. Il me semble qu’un fou, bien que le mot souffre d’imprécision, est quelqu’un hors de la société. Mes personnage ne le sont pas. Ils sont en plein dedans, avec des problèmes de voisinage, de maison de retraite, de régime alimentaire, que-sais-je encore. Bien sûr dans l’éventail de ces personnages on trouve de doux fêlés, des mythomanes, des méchants, mais aussi des gentils… Bref, toutes sortes de spécimens. Mais pas fous. Aucun ne se prend pour Napoléon ou ne s’accroche au pinceau si on retire l’échelle sur laquelle ils sont montés.

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IX. En vous lisant, j’ai pensé au “Dictionnaire des idées reçues” de Flaubert, à Beckett et au théâtre absurde. Sont-ce effectivement vos références, en avez-vous d’autres ?

Flaubert est un de mes écrivains préférés. J’admire son écriture. L’écriture, lui, il l’a pétrie ! Et puis Beckett, c’est évident, mais aussi Ionesco. Et beaucoup d’autres qui m’ont en quelque sorte autorisé à oser écrire à ma manière ce qu’ils auraient peut-être écrit à la leur.

X. Enfin, dans votre texte vous épinglez (gentiment) la politique, les eco-citoyens ou les retraités un peu gâteux. Pensez-vous que l’on puisse vous qualifier de satiriste ?

Je préfère observateur. Ouvrir les yeux, tendre l’oreille, butiner à gauche et à droite et faire mon miel de ce que je vois et entends. Et mon miel à bien souvent un goût… comment dire… aigre-doux. Il est vrai que je butine la plupart du temps des fleurs acidulées.

 

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