En ce moment, je suis tellement fasciné par les super-héroïnes que j’arrive plus à savoir si je suis un queutard ou un homosexuel. Quand j’ai découvert la couverture de Ant par Mario Gully et Marc Hammond, mon chemin a été => gaieté du cerveau ah cool un comics indé => lassitude du cœur oh non c’est encore un truc de super-héros => joie du slip woh bordel t’as vu ce boule kolossaal ?! Examinons maintenant si l’œuvre a plus à proposer qu’un fessier improbable.
Synopsis
Hannah Washington est à la recherche de ses souvenirs perdus et aimerait des réponses à ses questions. Elle s’est réveillé dans un asile, mais que s’est-il passé avant ? Est-elle Ant ou bien est-ce le fruit de son imagination ?
Critique
D’un comics indépendant, on attend une rupture – esthétique, narrative, morale, dans l’idéal tout à la fois – quant à l’immensité souvent abrutissante des comics mainstream. Dans le domaine déjà évoqué – l’exposition du corps de la super-héroïne – Gully fait bel et bien une proposition différente. Jamais on ne verra, dans les publications officielles, de Wonder Woman (par exemple) aussi explicitement dessinée pour le rinçage d’œil. Les directeurs de DC comics savent qu’une bonne partie du lectorat achète son Wonder Woman parce qu’il rêve de se faire choper au lasso ligoter puis torturer en face-sitting on peut plus respirer argl j’étouffe je – pardon. Ils le savent et l’affichent avec un cynisme joyeux dans des bouquins tels que Cover Girls (Louise Simonson, 2013). Toutefois les DC dirlos ne s’autorisent pas le délire SM débridée, notamment par souci des petits lecteurs. Wonder Woman et ses amis restent chastes. Ses proportions à peu près réalistes. Ses attitudes guerrières. Les gros plans gratos évitées la plupart du temps. À côté de ça, Ant prend des poses de porn star. Sur la couverture, ci-à gauche, on a un classique face down ass up bras croisés avec regard cam. Un peu plus bas, vous pouvez voir un autre classique : de dos, avec le regard cam par-dessus l’épaule et la main qui l’air de rien caresse la fesse. Cette imagerie pornographique ne se limite pas aux couvertures, qui par calcul publicitaire tendent à exacerber les aspects les plus animaux des oeuvres (destruction cul twist). À l’intérieur même de l’ouvrage, Hannah ou son alter-ego Ant se retrouve sans arrêt dans des postures suggestives, qu’elle soit en train de marcher dans la rue, de s’endormir dans son lit, d’enquêter en librairie pour boucher les trous de son amnésie ou de combattre des monstres. Gully semble spécialement apprécier, pendant les bagarres, l’attaque double coup de pied sauté, dessiné en contre-plongée, Ant en amazone inversée grand écart dans les airs.
Les lubies érotiques de Gully sont précises. De l’ordre du fétichisme de niche, si on prend en compte que toutes les poses décrites sont couronnées d’une tête de fourmi géante. Cela donne par moments l’impression de lire moins des aventures super-héroïques qu’un recueil lubrique, comme peut en proposer ce petit pervers de Crumb quand il détaille son adoration des grandes meufs très musclées. Mais Gully ne creuse pas, se contente de déplacer le curseur entre ce que s’autorise DC comics et ce qu’ils ne s’autorisent pas encore. Il n’assume pas le penchant jusqu’au bout – ou bien on ne lui laisse pas assumer. D’après ce que j’ai lu, Gully a tenté d’aller plus avant dans ses fantasmagories mais il a dû jouer des coudes comme pas possible, et souvent abandonner. À la sortie en kiosque du numéro 8 de Ant, il se fait incendier pour une scène où une strip-teaseuse dévoile ses fesses. En 2014, les aventures de Ant sont définitivement arrêtées parce que le nouveau scénariste, Erik Larsen, refusait que – tout ceci est authentique – Ant attaque un méchant en pressant sa vulve contre son visage, le méchant contre-attaquant avec sa langue. Ceci dit, les aventures de Ant contenues dans la présente publication, jamais traduites en français jusqu’alors, datent de 2005. On espère que Mario Gully a depuis pris conscience de ses forces et qu’il s’est émancipé des mauvais conseillers.
Parce qu’une fois son potentiel érotique mis à part, Ant n’est pas loin de n’avoir aucun intérêt. Le récit consiste en une variation autour du motif surhomme amnésique (à la même époque la saga Jason Bourne niquait tout au box office). Ce n’est pas une mauvaise stratégie étant donné les conditions éditoriales : en 2005, Gully a déjà sorti 4 numéros de Ant chez Arcana Studios – petit succès – et il vend son personnage à Image Comics ; pour eux, il doit inventer un nouveau début à la série. L’amnésie du personnage permet de mettre en récit la redécouverte de l’univers et d’accueillir dans le Ant version Image Comics aussi bien les anciens lecteurs que les nouveaux. Mais concrètement, cela donne un album où l’héroïne passe 90% de son temps à monologuer intérieurement, écriture zéro : « Je cherche des réponses à mes questions. Que m’est-il arrivé ? Qu’a-t-on fait à mon esprit pour que tous mes souvenirs soient aussi flous ? Et pourquoi cette image me hante-t-elle ? », « Mon cœur s’emballe en voyant la photo. Mon père. Celui pour qui je voulais être une héroïne. » Quand Gully essaie de peaufiner ses dialogues et concocter des combats pleins de punchlines type Spider-man, c’est pataud : « Arachnid veut savoir si Ant a un aussi joli rouge à l’intérieur qu’à l’extérieur. Arachnid va bientôt savoir. – Ant se demande si Arachnid est aussi stupide qu’il est moche. » Le dessin et le découpage, qui arrivent bon an mal an à être classiques, ne sont du coup portés par aucun souffle et paraissent cheap. Bref, dès que Gully essaie de rivaliser avec les comics mainstream dans le genre action classique, ça rate ; qu’il se consacre aux gens tout nus !